Comment vivaient nos ancêtres
femme leur signale qu’elle a un jeune oncle célibataire de trente-deux ans qui pourrait convenir à leur fille. Elle se propose d’organiser une rencontre. Avec l’accord des parents, le rendez-vous est pris pour l’été à La Bourboule. On échange quelques mots et la demande suit. On se revoit pour les fiançailles, pour le mariage d’une parente, et c’est bientôt leur tour, tout juste un an après.
Plus récemment, en 1930, les parents de Georges connaissent une vieille dame qui a une petite-fille. À l’occasion d’une messe de mariage à la Madeleine, on organise une rencontre « fortuite ». Il pleut. Georges offre à la jeune fille de l’abriter sous son parapluie et quelques pas rue Royale marquent le début de cinquante années de vie commune.
Tous ces mariages arrangés, qui semblent naître en ville pour devenir de règle dans toute la bourgeoisie tant urbaine que rurale, laissent-ils une place à l’amour ? Oui, dit-on alors, car l’amour naît plus tard, au fil de la vie quotidienne.
Comment faire autrement dans cette société où la virginité est jalousement préservée, mais où l’on a toujours hâte d’établir sa fille avant qu’il ne lui arrive un « accident » Aussi avant qu’elle ne soit trop vieille car, on le répète souvent, « marchandise trop longtemps gardée perd de son prix » ?
À la campagne, où la virginité compte moins, épouse-t-on pour cela davantage par amour ? Cela ne semble être ni un idéal ni une nécessité. Le physique, par exemple, n’est guère considéré. Une belle fille, selon les proverbes régionaux, est réputée fainéante, rude et rebelle, enfin mauvaise tête. On dit qu’« une jolie fille a sept défauts », et « qui cherche une rose trouve souvent une bouse », sans oublier que « belle rose devient gratte-cul ». On préfère nettement la loyauté, le courage et l’honnêteté. « Fille oisive, à mal pensive » et « femme qui sort beaucoup à la rue tient sa maison comme un fumier », dit-on encore en Gascogne. Finalement, une femme belle complique la vie et la sagesse veut que l’on sache s’en garder.
Pour séduire, on s’en remet donc volontiers à « l’herbe à chats », un certaine plante couramment récoltée qui a la réputation de rendre amoureux. En Vendée, la jeune fille voulant se faire aimer d’un garçon doit lui faire manger un gâteau où elle aura fait entrer quelques gouttes de son sang. Mais comment savoir, là encore, si ces recettes étaient utilisées pour favoriser des mariages d’argent ou, au contraire, des mariages « d’inclination ». Finalement, comme l’a dit Martine Segalen, l’amour, autrefois, semble bien avoir été le « privilège des pauvres ».
QUAND ARRIVE LE « CROQUE-AVOINE » :
CODE AMOUREUX ET RÉPONSES CODIFIÉES
Dès l’âge de treize à quatorze ans, les filles ont un loisir tout trouvé : le trousseau. À tout instant, des années durant, elles vont coudre, broder, froncer, amidonner. Chacune, craignant d’être laissée pour compte, prie sainte Catherine, va en pèlerinage visiter Notre-Dame, effeuille la marguerite ou interroge les coucous ou les coccinelles, jette des épingles dans l’eau de quelque fontaine, sacrée de préférence… Le galant, parfois, tarde à se présenter, car évidemment c’est à l’homme qu’il appartient de faire les premiers pas. Il tarde d’autant plus que, sous l’Ancien Régime, tout au moins aux XVII e et XVIII e siècles, on se marie tard. Souvent les garçons sont « placés » en apprentissage ou comme valet ou charretier chez quelque parent plus aisé. Devant attendre le décès des leurs pour avoir de quoi s’établir, ils ne se décident qu’à vingt-sept ou vingt-huit ans, voire plus, et choisissent une fille de trois, quatre ans de moins, se méfiant des trop gros écarts d’âge. En un temps où la contraception est inconnue, le mariage tardif a un excellent effet régulateur. Il évite à la femme de dépasser les quinze grossesses et permet également, en attendant, de mieux repérer les partis « épousables » en fonction des règles établies.
Quand vient le temps du choix parmi les conjoints possibles, chacun se connaît bien. Parent ou non, on s’est côtoyé depuis l’enfance et l’on se rencontre encore régulièrement aux champs, aux foires, aux pèlerinages, aux fêtes et aux veillées. On connaît la réputation de chacun et de chacune. En public, on n’ose pas
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