Comment vivaient nos ancêtres
femme, il ne fait pas bon pour lui d’être battu par elle. C’est là encore une situation contre nature que la communauté tout entière, femmes et hommes confondus, réprouve. Comme quoi la misogynie n’a pas grande part dans ces coutumes…
POUR LE MEILLEUR ET POUR LE PIRE :
MARIS ET FEMMES BATTUS
« Mauvais cheval veut l’éperon, mauvaise femme veut le bâton », dit-on en un temps où le mari peut à tout moment battre sa femme impunément. Non seulement il le peut, mais il le doit : la plupart des anciennes coutumes sont claires à ce sujet. Dans le Beauvaisis, l’homme agit ainsi envers son épouse « quand elle desnie son mari » ; à Bergerac, on lui permet même d’aller « jusqu’à effusion de sang » pourvu que ce soit « bonozelo », c’est-à-dire dans une bonne intention, pour « corriger » son épouse. L’Église évidemment approuve, puisque la femme est par définition la tentatrice et l’instrument du Malin et que, pour une femme, « vouloir gouverner en méprisant son mari, c’est péché mortel ». À chaque mari donc le droit et le devoir de corriger celle que le mariage lui a confiée, celle qui l’a épousé pour le meilleur et pour le pire…
Malheureusement le pire arrive souvent. Combien de maris violents ne cherchent guère à se maîtriser et s’en vont à tout propos décrocher quelque lourd bâton ? Car, « qui bat sa femme avec un coussin croit lui faire mal et ne lui fait rien », comme on dit en pays de Foix. Il faut taper fermement si l’on veut que la leçon porte ses fruits. Ailleurs on reconnaît cependant que « battre sa femme, c’est battre un sac de farine ; tout le bon s’en va et le mauvais reste » !
Il est donc bien rare que la communauté villageoise donne tort au mari. D’une part parce que, dans la « lutte pour la culotte », le mari doit toujours gagner afin que l’ordre établi ne soit pas compromis, ensuite parce qu’il est admis que la femme a besoin d’être rudoyée. La femme maltraitée n’a pas le droit de se plaindre, moins encore de battre son mari, de le commander ou de le ridiculiser : ce serait là une situation contre-nature passible de charivari.
Quelle ressource reste-t-il donc à ces pauvres victimes de maris violents, buveurs, infidèles ou « noiseux » – du vieux mot noise (11) qui signifie querelle. Le divorce est inconnu. Napoléon le fera soigneusement inscrire dans le code civil de 1803, sans doute à cause de sa situation de « mari trompé de femme stérile » et pour mieux répudier Joséphine. Supprimé à la Restauration, il sera rétabli en 1884 par la loi Naquet. Par contre, à défaut de divorce, les tribunaux d’autrefois sont autorisés à prononcer la séparation de corps, en principe temporaire et provisoire jusqu’à ce que « l’Esprit Saint veuille les réconcilier ». Les mauvais traitements, les menaces de mort, l’adultère, et surtout les « sévities » sont alors pris en considération, comme l’indiquent les archives. L’historien Alain Lottin mentionne le cas de Marie-Louise Bonnaire, « commerçante » à Landrecies (Nord) au XVIII e siècle. Son mari, rentrant du village de Favril où il est resté au cabaret jusqu’à onze heures du soir, « entra chez lui comme un enragé et jeta ses souliers à sa tête, renversa la lampe, cassa le chandelier, lui donna plusieurs soufflets et coups de pied en disant : crève bougresse, crève bougresse ». Une autre fois, « plein de vin, il s’empare de la buise du poêle – la chaîne – et la charge de coups » devant la servante. À cela s’ajoutent des violences sexuelles et des injures appropriées. C’est le cas de la femme de Jean-Baptiste de Préseau, seigneur de Rinsart et grand bailli d’Avesnes, que son époux poursuit tantôt avec un fusil « qu’il a déchargé vers elle », tantôt avec « une hache avec laquelle il a défoncé la porte de sa chambre », tantôt avec un tison ardent. Ainsi sont-elles des centaines pour lesquelles les tribunaux ecclésiastiques se sont montrés relativement compréhensifs. Mais point de récits de mésententes entre époux dans les milieux modestes. Curieux constat dont l’explication est donnée par le juriste Merlin dans le Répertoire de jurisprudence , publié à la veille de la Révolution : si les sévices et mauvais traitements sont reconnus comme une cause de séparation suffisante entre personnes de qualité, ils sont « insuffisants
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