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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
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de profits, la location de voitures à bras et de poussettes. Activité assez fructueuse, tous les déménagements se faisant alors à bras d’homme, les parents et les amis étaient invités à se déguiser en athlètes. Je n’ai pas mémoire d’avoir vu, dans ma jeunesse à La Chapelle, une seule voiture de déménagement ni une équipe de déménageurs. Un changement de domicile, jamais très éloigné, car l’on répugnait à perdre de vue ses amis, ses voisins, commençait par la remise en état du local qu’on allait occuper. À ce stade, là encore, tout, du lessivage des plafonds à la pose des papiers peints, était exécuté par parents ou copains, le dimanche ou, au beau temps, le soir après le boulot. Nul ne songeait à se dérober à ces obligations fraternelles, toujours d’une grande gaieté, et toujours marquées de repas copieux et bien arrosés.
    Ni « affreux jojo », ni « cher petit ange », à mi-distance de la sagesse et de la dissipation, je n’étais pas pour autant rudoyé par mes parents. S’avisant qu’ils n’avaient pas procréé un sujet remarquable, mes père et mère, admettant chez les êtres une hiérarchie naturelle des capacités, se bornèrent, dès que j’eus atteint ma septième année, réputée en ce temps être l’« âge de raison », à tenter de corriger, ô modestement, mes tendances à l’apathie. De tempérament paisible, ils préférèrent toujours user de persuasion que d’adopter une méthode en férocité, plus communément employée dans mon faubourg par les parents de mes petits copains d’école, à qui un livret détestable valait avec certitude une correction magistrale. Quant à moi, mises à part quelques gifles plus symboliques d’autorité que douloureuses, je ne fus jamais frappé avec violence par mon père ni par ma mère.
    Toutefois, en cas d’incartade trop révélatrice de mauvais instincts, Louis, l’aîné de mes frères, me prenait à part, dès qu’informé, et, histoire de me bien persuader que la rapine ou la violence ne payaient pas, m’administrait quelques calottes ponctuées d’un coup de pompe au cul. Cette rigueur n’excluait d’ailleurs pas la gentillesse et l’affection. Ce fut ce frère qui, à l’occasion d’un Noël de disette, m’offrit le Meccano vainement souhaité depuis l’année précédente, et couvé du regard en chaque occasion dans la vitrine de la « Source des Inventions », boulevard de Strasbourg. J’ai su depuis que mon brave frangin avait consacré à cet achat le produit de la vente d’une année entière de son « boni », pognon dont il aurait aisément eu un autre emploi. Le « boni » consistait pour l’ajusteur, métier de Louis, en une soigneuse récupération quotidienne des chutes et des copeaux de cuivre ou de bronze qu’il avait eu à travailler. Cela avait son prix au kilo chez le père Collard, le brocanteur de la rue Pajol. En un temps ennemi du gaspillage, tous ces débris métalliques devaient être refondus pour les utilisations ne réclamant pas une pureté absolue de la matière.
    La tradition eût voulu que mon frère Louis, et André son cadet, adoptent le métier paternel : la fleur artificielle. Cette carrière trop incertaine – ils en avaient pu mesurer les aléas –, jointe à l’engouement de l’époque pour la mécanique en plein essor et l’électricité riche de promesses, les en avait détournés. Le certificat d’études en fouille, Louis était entré à l’école professionnelle de l’abbé Rudinsky, lequel formait en deux années les moujingues de La Chapelle aux métiers du fer : forgeron, serrurier, ajusteur. La réputation de l’enseignement de l’abbé était grande, et ses élèves tenus pour des « bonnes mains » se trouvaient recherchés par les patrons.
    L’abbé Rudinsky, que son patronyme avait à son arrivée dans la paroisse fortement desservi, avait dû lutter rudement pour remonter ce handicap, qu’aggravaient encore les séquelles d’un combisme dont les remous étaient loin d’être apaisés. Quelques farouches partisans de la laïcité, lecteurs de La Calotte , ne manquaient jamais, au passage du curé, de lancer à pleine gorge le « croa ! croa ! » imité du cri du corbeau. L’abbé Rudinsky l’avait longtemps supporté avec une humilité toute chrétienne, jusqu’à un beau soir où, appelé pour administrer l’extrême-onction près d’un malade en péril de défunter, le « croa,

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