Constantin le Grand
Crispus, se lamentait, secouée de sanglots, accusant Fausta la païenne, fille et sœur de persécuteurs, l’avide Fausta, dévorée par le désir d’exercer le pouvoir à travers ses fils, Fausta la menteuse, la perverse, la femme démon, la femme serpent !
Il était de mon devoir, ajoutait-elle, d’éclairer Constantin en lui rapportant ce que je savais, de l’arracher à cet accablement et au remords qui le terrassaient, l’empêchaient de gouverner l’Empire.
Si je n’avais pas le courage de parler à Constantin, elle, sa mère, lui révélerait la vérité. Mais peut-être l’avait-il déjà devinée ?
L’autre femme, la demi-sœur de Constantin, Constantia, mère de Licinius le Jeune, pensait que c’était bien le cas. Constantin, assurait-elle, savait que Fausta était à l’origine de cette machination qui l’avait conduit, lui, à tuer son fils et son neveu.
Constantia se griffait le visage, hurlant la mort de Licinius et de Crispus.
J’hésitais encore.
J’ai reçu Cyrille qui arrivait de Rome. Il me dit que la ville était terrorisée par ces assassinats. Les chrétiens rassemblés autour du pape Sylvestre étaient désemparés. Ils ne pouvaient croire à la culpabilité de leur empereur Constantin, de cet « évêque du dehors » qui avait ouvert tant de chantiers dans Rome pour que la ville païenne fut désormais une cité chrétienne. Il avait offert le palais du Latran au pape. Qu’en serait-il de cette donation si Fausta accédait par ses fils à l’Empire ? Le palais du Latran lui appartenait. Elle voudrait sans doute le reprendre, venger son père Maximien, son frère Maxence. Quel serait le sort des communautés chrétiennes et de l’Église de Christos si l’Empire tombait en de telles mains ?
— Tu le dois, Denys, m’a dit Cyrille. Tu dois parler, pour la vérité et pour l’Église.
Je me suis approché de Constantin.
C’était une fin d’après-midi du mois de juin 326.
Il était assis, seul, dans la grande salle des audiences plongée dans la pénombre.
Les mains croisées, il paraissait prier.
À cet instant j’ai pensé que Dieu avait laissé Constantin ordonner injustement la mort de son fils Crispus et de son neveu Licinius le Jeune pour que, par le regret et le remords, succombe en lui le tueur, le gladiateur, l’empereur païen.
J’ai commencé à parler, mais à peine ai-je prononcé le nom de Fausta qu’il m’a interrompu et chassé d’un geste.
Dans l’antichambre, Hésios m’attendait.
Il m’a entraîné, me chuchotant que les dieux, les siens et le mien, nous avaient entendus. On venait de découvrir aux thermes le corps de Fausta dans une vasque d’eau bouillante. Elle était morte seule, si brûlée que sa peau avait été tout entière dévorée, laissant la chair à vif, les orbites vides, les lèvres rongées.
J’ai fixé Hésios.
— Quelles mains ont fomenté ce meurtre ? ai-je demandé. Quelles mains l’ont poussée, et qui leur en a donné l’ordre ?
— Nos dieux, a répondu Hésios. Ils fixent les sentences.
— Christos laisse les hommes libres d’agir.
Hésios a souri.
— Les dieux et les hommes sont unis comme les doigts de la main, a-t-il énoncé.
Il m’a appris que Constantin avait décrété un deuil de quarante jours à la mémoire de son fils, et qu’il s’apprêtait à faire dresser au cœur du palais impérial une statue en or à son effigie.
Elle porterait, gravée sur son socle, cette inscription :
« À mon fils que j’ai injustement condamné. »
30
J’ai vu Constantin s’agenouiller devant la statue de son fils.
Il a ployé la tête comme si une lourde main, celle du remords, avait pesé sur sa nuque.
J’ai senti ses mains moites s’accrocher aux miennes pour se retenir, s’empêcher de basculer dans ce gouffre où, chaque jour, il disparaissait, refusant de recevoir les légats et les gouverneurs venus des extrémités de l’Empire, de Bretagne ou d’Égypte, des bords du Rhin ou des rives de l’Euphrate.
Puis il resurgissait, errant dans le palais impérial, jetant autour de lui des regards apeurés comme s’il avait aperçu dans la pénombre des silhouettes menaçantes, comme si, à chaque pas qu’il faisait, hésitant, chancelant, trébuchant, il avait été guetté, suivi, harcelé.
J’ai souffert de le voir ainsi, faible, prostré, ne se ranimant que lorsque apparaissaient ses fils et ses filles. Il les serrait contre lui puis
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