Constantin le Grand
les écartait, les repoussait avec une sorte d’effroi, comme s’il avait été porteur d’une malédiction, d’une peste qui eût pu les menacer.
Je ne le reconnaissais plus.
Parfois il s’enfermait dans sa chambre en compagnie de jeunes esclaves dont les rires aigus me déchiraient. Puis, tout à coup, les portes s’ouvraient avec fracas et les jeunes femmes à demi nues s’enfuyaient, affolées.
J’apercevais Constantin, allongé bras en croix sur son lit souillé de vomissures. Il était ivre, les yeux révulsés, le corps inerte.
J’appelais ses gens, qui le lavaient et le veillaient.
Je convoquais ses médecins, les interrogeais, mais qu’avaient-ils à m’apprendre ? L’un d’eux, un Grec du nom d’Hypos, m’expliqua sentencieusement que le corps de l’empereur était vigoureux comme celui d’un grand arbre.
Je l’ai interrompu :
— Mais son âme est grise, rongée, ai-je objecté.
Hypos a balbutié qu’il n’avait rien suggéré de tel. J’ai vu la terreur creuser ses traits. Car à Rome, depuis les meurtres de Crispus et de Licinius, la mort affreuse de Fausta dont chacun savait qu’elle n’avait rien d’accidentel, mais que Constantin l’avait ordonnée tout comme il avait voulu l’exécution de son fils et de son neveu, on avait peur. Cet empereur qu’on avait cru généreux et juste, inspiré par Christos, Dieu de la compassion et du pardon, apparaissait tout à coup capable de crimes plus effrayants encore que ceux jadis commis par Néron.
Un homme qui faisait torturer son fils et noyait son épouse dans l’eau bouillante était capable de mettre le feu à Rome et de décider l’extermination de tous ses habitants.
Les chrétiens eux-mêmes s’étaient pris à douter de lui. Ne les avait-il pas trompés ? Faux chrétien, vrai païen ?
J’ai craint que la terre ne s’ouvre sous nos pas, que les murs des basiliques dressées dans Rome ne viennent à s’effondrer, qu’une nuée ardente comme celle qui avait détruit Pompéi, au temps des empereurs païens, ne surgisse du flanc des volcans, que Dieu ne nous ait abandonnés parce que Constantin avait cédé au tueur qu’il avait été et qui vivait encore en lui.
À cet instant, j’ai été sûr, que ce moment que nous vivions constituait la dernière épreuve.
Pour la surmonter, il ne suffisait pas que Constantin eût fait dresser une statue de Crispus et confessé ses crimes. Il fallait que Dieu pardonne, et que, par un signe, Il fasse connaître aux peuples de l’Empire qu’il accordait encore Sa confiance et Sa protection à Constantin, l’empereur des chrétiens.
C’est la mère de Constantin, Hélène Augusta, qui a obtenu pour son fils le pardon de Dieu.
Quand elle m’a dit qu’elle gravirait à genoux le Calvaire, qu’elle fouillerait la terre de ses mains pour trouver la croix sur laquelle avait été supplicié Christos, j’ai compris pourquoi Dieu l’avait choisie pour être la pénitente et intercéder auprès de Lui.
Elle-même avait été crucifiée par le meurtre de son petit-fils qu’elle avait élevé, et le meurtrier était la part la plus précieuse de sa chair, son propre fils, Constantin, auquel elle avait voué toute sa vie.
Répudiée puis comblée par les victoires de son fils et de son petit-fils, elle avait cru au triomphe de sa lignée, et voici qu’elle avait tout à coup été poignardée, trahie, clouée par la douleur.
— C’est moi, m’a-t-elle dit, qui dois parler pour mon fils.
J’ai voulu l’accompagner en Palestine, mais elle a exigé que je reste auprès de Constantin.
C’est à moi qu’elle adresserait ses messagers.
Il y avait tant d’énergie et de détermination dans ce corps flétri, tant d’amour dans les yeux de cette mère, que j’ai su que Dieu l’écouterait et qu’ainsi Constantin, grâce à elle, retrouverait la force de gouverner l’Empire et la confiance de ses peuples. À commencer par celle des chrétiens.
Hélène Augusta a donc quitté Rome.
Constantin a voulu la retenir. Elle était proche de sa quatre-vingtième année. Le voyage serait long. La terre de Palestine était un désert de pierres consumé par le soleil.
Elle a simplement répondu que, s’il empêchait ce pèlerinage, elle mourrait.
Elle avait parlé sans élever la voix et il a cédé, mettant à sa disposition les relais impériaux, lui offrant une escorte, des fonds illimités pour mener à bien ses recherches, entreprendre la
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