Contes populaires de toutes les Bretagne
fais-tu là, petit ver de terre, poussière de mes
mains ?
— Tu le vois, répondit tranquillement le cadet, je
garde ma fouée.
— Laisse-moi l’éteindre, ou je vais te hacher menu
comme chair à pâté !
— Si tu le peux, répondit le garçon.
Il prit un gros bâton et commença à se défendre. Le Corps
sans Âme ne put éteindre le feu et il s’en alla en bousculant les arbres autour
de lui.
Quand le matin fut venu, les deux frères demandèrent à leur
cadet comment la nuit s’était passée.
— Très bien, répondit-il, ne voulant pas les effrayer
en racontant ce qui lui était arrivé.
La troisième nuit, ce fut le plus jeune qui monta la garde.
Mais le petit homme ne vint pas le prévenir. Minuit était à peine passé quand
le Corps sans Âme se présenta devant lui en criant comme un enragé :
— Que fais-tu là, petit ver de terre, poussière de mes
mains ?
Le garçon tremblait comme une feuille en voyant ce géant
presque aussi haut que le plus haut des chênes.
— Je garde ma fouée, répondit-il.
— Je veux l’éteindre, dit le géant. Laisse-moi faire ou
je te hacherai menu comme chair à pâté !
Le garçon n’insista pas, car il avait très peur du Corps
sans Âme. Il s’éloigna du plus vite qu’il put, et le Corps sans Âme éteignit le
feu.
Le matin, lorsque les deux frères arrivèrent, ils virent le
garçon qui pleurait devant le feu mort et éparpillé. Ils furent très
désappointés et lui dirent qu’il était un propre à rien puisqu’il n’était même
pas capable de garder un feu.
— C’est bon, dit le garçon. Puisque vous êtes en colère
contre moi, je vais vous laisser et j’irai tout seul chercher fortune.
Les deux frères répondirent :
— C’est ça, et bon vent ! tu ne ferais que nous
embarrasser.
Le garçon les quitta et se mit en route sans trop savoir où
il irait. Il arriva sur le bord d’un étang et vit une lavandière qui
travaillait. C’était la femme du Corps sans Âme, mais cela, le garçon ne le
savait pas. En tout cas, c’était une chrétienne, comme le garçon. Il s’approcha
d’elle et la salua.
— Pourriez-vous m’indiquer un endroit où je trouverais
de l’ouvrage et du pain, demanda-t-il. Je voyageais avec mes deux frères, mais
ils m’ont chassé parce que j’ai laissé un géant éteindre le feu.
La femme se releva et lui répondit :
— Viens avec moi au château que tu vois là-bas. Je te
donnerai à boire et à manger tant que tu voudras. Le géant que tu as vu et qui
a éteint ton feu, c’est mon mari, le Corps sans Âme. Il dort vingt-quatre
heures de suite sans s’éveiller lorsqu’il a fait un bon repas, et il vient
juste de s’endormir.
— Pourquoi votre mari est-il appelé le Corps sans
Âme ? demanda le garçon un peu surpris.
— C’est, répondit-elle, parce que son âme n’habite
point son corps. Il possède un lion effrayant dans le corps duquel se trouve un
loup. Ce loup a dans son ventre un lièvre qui lui-même renferme une
perdrix, et la perdrix a treize œufs. C’est dans le treizième œuf que se trouve
l’âme de mon mari. Je voudrais bien rencontrer un homme assez courageux pour
tuer le lion et ôter les œufs du corps de la perdrix, car ce maudit géant m’a
enlevée et je souhaite qu’il soit puni pour toutes les mauvaises actions qu’il
a commises. As-tu assez de courage pour tenter l’aventure ?
— Je vais essayer, dit le garçon.
Il alla au château où la dame le traita du mieux qu’elle le
put. Il resta en sa compagnie jusqu’au moment où le Corps sans Âme fut sur le
point de se réveiller. Alors la femme cacha le garçon avec soin.
Quand le géant se leva, il se mit à remuer les narines comme
s’il sentait quelque chose et regarda tout autour de lui.
— Qu’y a-t-il de nouveau ? demanda-t-il.
— Rien de nouveau, que je sache, répondit-elle.
Le Corps sans Âme se mit à table. Il mangea et but
copieusement comme à son ordinaire, puis il retourna se coucher et bientôt on
l’entendit ronfler bruyamment.
Alors la femme fit sortir le jeune homme de sa cachette.
Elle lui donna un sabre bien affûté et le conduisit à la chambre où le lion
était enfermé. Dès que la porte fut ouverte, le lion se mit à rugir d’une façon
effroyable et il s’approcha du garçon. Mais celui-ci ne se laissa pas effrayer.
Il s’y prit si habilement qu’il lui enfonça son arme dans le cœur.
Quand le lion fut bien mort, le jeune homme
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