Contes populaires de toutes les Bretagne
des
années et des années, et même peut-être depuis des siècles.
Dans le pays, pendant les longues soirées d’hiver, lorsqu’on
faisait la veillée dans les écuries, parce qu’il y faisait plus chaud, les
vieux racontaient aux jeunes l’histoire du crieur de nuit, car c’était ainsi
qu’on l’appelait. Ils disaient avoir entendu cela de leurs ancêtres. Il y en a
même qui assuraient l’avoir vu et entendu crier, mais ils ajoutaient que si
quelqu’un venait à lui répondre, il lui arriverait sûrement malheur. Mais
lorsque les jeunes demandaient qui était cet homme et pourquoi il se promenait
autour du champ en portant une borne sur son dos, personne ne pouvait répondre,
car personne, vous le pensez bien, n’avait eu l’audace d’aller le demander au
crieur de nuit.
Un soir, un jeune homme, qui était sabotier de son état,
revenait du bourg voisin où il était allé voir les filles. Il vit et entendit
le crieur de nuit. Il comprit même ce qu’il demandait, mais au lieu d’aller de
son côté, il s’enfuit à toutes jambes.
Le lendemain, tout en creusant des sabots, il raconta à ses
camarades d’atelier ce qu’il avait vu et entendu. Un jeune homme d’une
trentaine d’années, qui passait pour n’avoir point froid aux yeux, s’écria
alors :
— Il y a assez longtemps qu’on me parle de cet
animal-là ! puisque tu l’as vu, je voudrais bien le voir, moi aussi, et si
tu n’as pas peur de m’accompagner, demain soir, nous irons tous les deux à
l’endroit où tu m’assures l’avoir vu. S’il crie quelque chose, sois sûr que je
lui répondrai !
L’autre accepta. Le lendemain, ils se rendirent à l’endroit
indiqué. Ils se blottirent sous un buisson et attendirent. Ils y étaient depuis
peu de temps quand ils virent venir l’homme qui criait d’une voix
plaintive :
— Où faut-il la mettre ? Où faut-il la
mettre ?
Alors le jeune homme qui passait à juste raison pour n’être
point peureux, dit à son compagnon :
— Le voici qui vient. Avant de lui répondre, il faut le
laisser passer devant nous et voir exactement ce qu’il a sur le dos.
L’homme s’approchait. Il passa devant eux sans leur prêter
attention, marchant d’un pas fatigué et répétant toujours sa même question.
— Tiens, dit l’un des jeunes gens. Il porte une borne.
— Oui, dit l’autre, c’est bien ce qu’on raconte :
il porte une borne de pierre. Nous allons voir ce qu’il va en faire.
Pendant que les deux jeunes gens parlaient entre eux,
l’homme poursuivait sa route autour du champ. Quand il eut fait le tour, ils le
virent se diriger vers un endroit du champ et y déposer sa borne. Puis il
disparut. Les jeunes gens quittèrent leur cachette en regrettant toutefois de
n’avoir rien dit. Le lendemain, le moins peureux voulut encore emmener son
compagnon, mais celui-ci, qui n’était pas des plus hardis, ne voulut pas y
retourner une autre fois. Alors, il décida d’y aller seul.
Arrivé à l’endroit où il se trouvait la veille, il vit
encore venir l’homme qui criait la même chose que la nuit précédente. Le jeune
homme se dit : « Arrivera ce qui pourra, mais il faut absolument que
je dise quelque chose ».
Il sortit de dessous son buisson, et quand l’homme passait
devant lui en criant :
— Où faut-il la mettre ?
— Eh bien ! répondit-il, il faut la mettre où tu
l’as prise !
L’homme s’arrêta net devant lui.
— Il y a longtemps que je cherchais un homme comme
vous, dit-il. Je vous demande de me suivre.
— Qui que tu sois, dit le jeune homme, je te ferai
remarquer que je n’ai aucun ordre à recevoir de toi. Tu me demandes de te
suivre, mais où donc ? est-ce loin d’ici ?
— Si je vous dis de me suivre, reprit l’homme, ce n’est
point un ordre que je vous donne, c’est un service que je vous demande. Si vous
voulez me le rendre, cela ne vous dérangera pas beaucoup, car c’est juste au
milieu de ce champ que je vous demande de m’accompagner.
Le jeune homme le suivit. Arrivé au milieu du champ, l’homme
déposa sa borne à terre et lui dit :
— Voici l’endroit où je l’ai prise, aussi c’est à cet
endroit que je la replace. Depuis des années et des années, peut-être même des
siècles, je ne sais plus, je suis dans les flammes du Purgatoire, où j’endure
des souffrances tellement rigoureuses que personne ne peut les comprendre.
J’étais condamné à venir ici les nuits où il fait clair
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