Contes populaires de toutes les Bretagne
tous les
dimanches à la messe et aux vêpres, été comme hiver.
Ce soir-là, donc, il revenait du bourg, assez content et
gai, car, avant de partir, il avait bu deux sous de goutte. Il faisait sombre
et le ciel était couvert. La nuit serait dure, certainement. Au moment où il se
détournait pour passer dans le grand marécage qui s’étend entre Légenesse et
Kerlois, il aperçut un taureau, un beau taureau, ma foi, qui broutait le long
d’un mur.
— Allons ! dit-il tout haut, on voit bien en quel
temps nous vivons à présent ! tout va à la traîne et nos fils ont besoin
de leurs vieux pères pour faire rentrer leurs animaux à l’écurie. Voilà un
taureau qu’on a laissé dehors par imprévoyance ! Eh bien ! je vais le
ramener chez moi.
Le bonhomme marcha vers le taureau. Au bruit que faisaient
ses gros sabots, le taureau releva la tête et regarda le père Nedeleg avec ses
gros yeux. Le père Nedeleg eut très peur, car que ferait-il si le taureau
s’avisait d’engager la lutte avec lui ? Après tout, il n’était pas très
vaillant. Il avait bien son bâton, mais l’autre avait des cornes redoutables.
Pourtant, il approcha en criant :
— Heuh ! gueah !
Et il brandissait son bâton. Le taureau baissa la tête, mais
il ne bougea pas. Le vieillard hésitait de plus en plus. Enfin, il s’enhardit,
et de son gros bâton noueux, il frappa le dos du taureau.
Le bonhomme faillit en perdre connaissance : au moment
où son bâton toucha le dos du taureau, celui-ci disparut avec un grand éclat de
rire. Et il entendit le bruit d’un homme qui s’enfuyait à toutes jambes en
direction de la mer. Et c’est lui qui donna au monstre le nom de Kollé Porh-en-Dro , c’est-à-dire le Taureau de Porh-en-Dro .
Carnac (Morbihan).
En
Bretagne, ce ne sont pas les lutins qui sont des êtres malfaisants, mais des
personnages capables de prendre l’aspect d’animaux, et qui jouent des tours
cruels aux humains. Tous les fantasmes de la nuit, toutes les terreurs
nocturnes semblent s’incarner dans Kollé Porh-en-Dro.
LE PORTEUR DE BORNE
Dans la paroisse de Lignol, deux hommes qui étaient beaux-frères,
possédaient un champ magnifique. Il était très bien situé et comprenait
plusieurs hectares d’une excellente terre qui produisait les plus belles
récoltes du pays.
Or, un jour, les deux beaux-frères, qui avaient toujours
vécu en bonne intelligence, décidèrent entre eux de partager le
champ. Mais quand il fut question de le borner pour marquer la part de
chacun, de graves dissentiments s’élevèrent entre eux, et ils se fâchèrent.
L’un d’eux vint à mourir en laissant une veuve et plusieurs
enfants en bas âge. Quelque temps après, l’autre résolut de profiter de cette
disparition : un soir qu’il faisait un beau clair de lune, il se rendit
dans le champ, muni des outils nécessaires, et il déplaça la grosse borne de
pierre qui se trouvait au milieu pour la remettre quelques sillons plus loin,
dans la partie appartenant à ses neveux.
Sa belle-sœur, qui ignorait les arrangements qui avaient pu
se conclure au sujet du partage du champ entre son beau-frère et feu son mari,
et qui ne savait pas à quel endroit exact ils avaient borné, ne lui dit rien.
Le beau-frère malhonnête avait donc réussi. Mais il ne profita pas longtemps du
produit de son vol, car un jour, il tomba malade et il mourut à son tour.
Il s’en alla donc à la porte du Paradis, mais là, saint Pierre
refusa de le laisser entrer.
— Comment oses-tu te présenter ici ? s’écria saint
Pierre. Sache que le Seigneur t’a condamné au feu du Purgatoire, et cela
jusqu’au jour où tu auras trouvé un homme qui te voit remettre à sa véritable
place la borne que tu as déplacée lorsque tu étais encore sur la terre et qu’il
faisait clair de lune. Ainsi donc, tu feras le tour du champ, avec la borne sur
ton dos, chaque nuit où il fera clair de lune, en criant bien fort :
« Où faut-il la mettre ? ». Le jour où tu
entendras un homme te répondre, tu n’auras qu’à faire devant lui ce que je t’ai
dit, et tu pourras entrer ici.
Après avoir prononcé ces paroles, saint Pierre se retira, et
l’homme alla vers le Purgatoire. Là, il souffrait de cruels tourments, et
chaque nuit où la lune brillait, il faisait le tour de son champ avec la borne
sur le dos et en criant : « Où faut-il la mettre ? ». Mais
il avait beau faire, personne ne lui répondait, et cela durait depuis
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