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Courir

Courir

Titel: Courir Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Echenoz
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très
vite : on fait zzz et ça va tout de suite vite, comme si cette consonne
était un starter. Sans compter que cette machine est lubrifiée par un prénom
fluide : la burette d’huile Émile est fournie avec le moteur Zatopek.
    C’en serait même presque injuste : il y a eu d’autres
grands artistes dans l’histoire de la course à pied. S’ils n’ont pas eu la même
postérité, ne serait-ce pas que chaque fois leur nom tombait moins bien,
n’était pas fait pour ça, ne collait pas aussi étroitement que celui d’Émile
avec cette discipline – sauf peut-être Mimoun dont le patronyme sonne, lui,
comme souffle un des noms du vent. Résultat, on les a oubliés, ce n’est pas
plus compliqué, tant pis pour eux.
    C’est donc peut-être au fond ce nom qui a fait sa gloire, du
moins puissamment contribué à la forger, on peut se le demander. Se demander si
ce n’est pas son rythme, son battement qui font qu’il parle encore à tout le
monde et fera longtemps encore parler de lui, si ce n’est pas lui qui a
fabriqué le mythe, écrit la légende – les noms peuvent aussi réaliser, à eux
seuls, des exploits. Mais enfin n’exagérons rien. Tout ça est bien joli sauf
qu’un patronyme, on peut lui faire dire ou évoquer ce qu’on veut. Émile eût-il
été courtier en grains, peintre non-figuratif ou commissaire politique, on eût
sans doute trouvé son nom tout à fait adapté à chacun de ces métiers, dénotant
aussi bien la gestion rationnelle, l’abstraction lyrique ou le froid dans le
dos. Ç’aurait chaque fois aussi bien collé.
    A part ça, dès la fin de l’année, une petite annonce dans la
presse fait savoir que le tableau d’affichage des Jeux d’Helsinki est à vendre.
Il s’agit d’un ensemble de sept mille lampes en deux cents groupes de
trente-cinq. Autre lumière, Joseph Staline s’éteint au début de l’année
suivante et le président Gottwald, guide bien-aimé qui a pris froid pendant ses
funérailles, meurt à Prague dès son retour de Moscou.

14
     
     
    Émile est un peu fatigué. On peut le comprendre, on le
serait à moins. Outre l’or amassé en Finlande, il est devenu l’homme aux huit
records du monde sur les distances supérieures à cinq mille mètres : six,
dix et quinze miles ; dix, vingt, vingt-cinq et trente kilomètres ;
sans parler du record de l’heure. De retour en pleine forme à Prague, pendant
les mois qui suivent il n’est plus très actif comme s’il se reposait de ses
exploits. Il est fêté partout, on vient d’inaugurer un musée à sa gloire dans
sa ville natale de Koprivnice, on prépare un film qui racontera sa vie, il a
bien le droit de souffler.
    Staline puis Gottwald morts, on dirait d’ailleurs qu’on va
peut-être respirer un petit peu mieux : de légers indices attestent qu’il
doit se passer quelque chose du côté du pouvoir tchécoslovaque, même si c’est
momentané. De menus événements, l’air de rien, donnent le ton. Du jour au
lendemain, par exemple, voici que le journal Prace, organe des syndicats
qu’on ne lit de toute façon que pour sa page sportive, s’avise de critiquer
l’Office de la Culture physique, déplorant que celui-ci ne permette pas aux
athlètes tchèques de se produire à l’étranger. Voilà du nouveau.
    Comme pour donner raison à cet organe, à moins qu’il ait été
chargé de préparer le terrain, on annonce qu’Émile va se rendre au Brésil, à
Sao Paulo où il participera à la grande course de la Saint-Sylvestre qui marque
le dernier jour de l’année. Dès qu’il a obtenu son visa, exprimé son
contentement, il s’enferme mystérieusement dans la salle de bains pendant des
heures, dans la seule compagnie d’un carnet de papier à cigarettes Riz La
Croix. Ce même Riz La Croix sur les petites feuilles fragiles duquel, au même
moment, du fond de sa prison de Ruzyn, l’un des condamnés à perpétuité des
grands procès de Prague rédige clandestinement un rapport sur la réalité de
ceux-ci dans l’espoir de le transmettre à son épouse.
    De Prague à Sao Paulo, une escale est prévue à Paris où,
dans le hall de l’aérodrome du Bourget, il donne une conférence de presse avant
de s’envoler à bord d’un Super-Constellation. Comment voit-il cette course de
Sao Paulo. Eh bien je vais gagner, dit-il ingénument. On ne m’a pas indiqué les
noms de mes adversaires mais peu importe puisque je vais gagner. Quels qu’ils
soient, je vais les battre tous et j’en

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