Crépuscule à Cordoue
olivier.
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Cordoue s’élève sur la rive nord du Guadalquivir et domine une plaine agricole fertile. Le lendemain, Marmarides m’y conduisit en compagnie d’Helena. Nous traversâmes un pont de pierre qui remplaçait soi-disant celui qu’avait édifié Jules César. À cet endroit, même en avril, il était pratiquement possible de traverser le fleuve à gué.
Ville romaine fondée par Marcellus, premier gouverneur romain de la péninsule ibérique, Cordoue possédait déjà une longue histoire. Ensuite, César et Auguste l’avaient tous les deux transformée en véritable colonie pour soldats vétérans. Résultat : aujourd’hui encore, tout le monde y parlait le latin – probablement un prétexte pour se sentir bêtement supérieur.
L’invasion romaine de l’Hispanie datait de trois siècles, mais il n’avait pas fallu moins de deux cent cinquante ans pour considérer la province comme romanisée et les nombreuses tribus apaisées. Plus tard, pourtant, des rivaux étaient souvent venus s’y affronter ; en particulier à chaque fois qu’un quelconque arriviste parvenait à déclencher une guerre civile à Rome. Cordoue avait été fréquemment assiégée, et pourtant, à la différence de nombreux coins de l’Empire que j’avais visités, elle ne disposait pas de la protection d’un fort militaire.
La Bétique, qui possédait de nombreuses ressources naturelles, avait longtemps rêvé de vivre en paix pour pouvoir enfin les exploiter. À Rome, une statue dorée d’Auguste s’élevait dans le Forum. Elle avait été érigée par de riches habitants de cette province hispanique qui souhaitaient le remercier de leur avoir procuré une vie tranquille. Jusqu’à quel point tranquille ? Je ne le savais pas encore.
Un petit poste de garde précédait le pont ; au-delà s’élevaient des remparts impressionnants percés d’une porte monumentale. À l’intérieur des murs, les maisons étaient bâties dans le style traditionnel local – des murs de pisé surmontés de poutres – et pratiquement entassées les unes sur les autres. Je songeai que tout ce bois, dans une ville où l’huile des lampes était si bon marché, présentait un grand danger. Je n’étais pas le seul à le penser, puisque j’appris plus tard que la cité s’était dotée d’une importante brigade anti-incendie. À en croire ce qui était placardé sur certains murs, les habitants paraissaient fiers de leur amphithéâtre dont les spectacles obtenaient un franc succès. Certains gladiateurs assoiffés de sang semblaient jouir d’une grande popularité. Nous vîmes aussi plusieurs aqueducs qui approvisionnaient Cordoue en eau venue des collines du nord de la cité.
La population offrait un caractère cosmopolite, mais en avançant le long des ruelles tortueuses, nous découvrîmes que ses différentes composantes restaient nettement séparées. Les quartiers romains et hispaniques étaient soigneusement délimités par un mur qui courait d’ouest en est. Des plaques apposées sur ce mur explicitaient cette séparation.
Venant de la capitale de l’Empire où tous les gens sont mélangés, quelles que soient leur classe sociale ou leur origine, cette façon de se comporter nous surprenait désagréablement. Bien sûr, là-bas aussi, les nantis souhaitent mener une vie à part dans leurs luxueuses résidences, mais s’ils veulent se rendre n’importe où – et pour être quelqu’un à Rome, il faut être un personnage public –, ils doivent accepter d’être bousculés par le bouffeur d’ail de base.
Je commençais à penser qu’à Cordoue, les distingués administrateurs romains et les Bétiques introvertis allaient rapidement tomber d’accord sur un point : l’incongruité de ma présence en ces lieux.
Comme tous les touristes qui se respectent, nous nous étions dirigés vers le forum érigé dans le quartier nord de la ville. En interrogeant des passants, j’appris que le palais du gouverneur se trouvait près du fleuve. Lorsque nous étions passés devant, je devais être en train de parler à Helena et je ne l’avais pas remarqué. Ma compagne et Marmarides étaient convenus de faire le tour des monuments. Helena Justina avait pris soin de se munir d’un plan de la ville annoté par son frère. Elle me montrerait ultérieurement ce qui en valait la peine.
Je devais d’abord me présenter au proconsul de Bétique. Cette province inondée de soleil était séparée en quatre régions
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