Crépuscule à Cordoue
insistai-je.
— Il est évident que si la moindre tentative frauduleuse pour agir sur les prix était avérée, il faudrait intervenir immédiatement et sévèrement. Je n’ose même pas penser aux conséquences pour les marchés romains, l’armée et les circuits provinciaux. Mais je veux éviter de provoquer des remous ici. Fais ce que tu as à faire, mais à la première plainte, je t’expulse de ma province à une vitesse qui te surprendra.
— Trop aimable, grinçai-je.
— Ce sera tout ?
— Presque. Il ne reste qu’un petit détail à régler. Récemment, tu as échangé une correspondance avec Anacrites. Elle n’a pas été retrouvée dans ses archives. J’aimerais consulter les tiennes.
— Il s’agissait d’une question financière. Mon questeur s’en est occupé.
— Cornelius ? Avait-il débattu du problème avec toi ?
— Sans entrer dans le détail, dit-il, l’air vague.
Le proconsul donnait l’impression d’être noyé dans une profusion de problèmes à régler et de ne pouvoir se souvenir de tout. Puis le vieux madré changea soudain d’attitude.
— Es-tu l’agent qu’Anacrites nous a promis d’envoyer ?
Voilà une information importante dont j’ignorais tout.
— Non. Læta m’a seulement engagé après l’agression d’Anacrites. J’ai l’impression que l’agent choisi par le chef espion était ce pauvre Valentinus qui s’est fait assassiner le même soir…
— En tout cas, personne n’a encore cherché à prendre contact avec moi, précisa le gouverneur.
— Alors, disons que c’est à moi que le travail a été confié.
Le proconsul décida alors de se montrer enfin franc avec moi.
— Anacrites avait écrit pour demander si le prix de l’huile d’olive restait stable. Ce qui signifiait évidemment qu’il soupçonnait qu’il ne l’était pas. J’ai donc ordonné à Cornelius de se pencher sur ce problème immédiatement.
— Tu te fiais à lui ?
— J’étais certain de pouvoir compter sur lui.
Il parut vouloir préciser quelque chose, puis changea d’avis.
— Il a tout de suite perçu une certaine nervosité dans le petit monde des négociants, continua-t-il simplement, mais il ne savait pas comment aborder la question. Ça m’a mis mal à l’aise, bien sûr, et j’ai tout de suite envoyé un rapport. C’est là qu’on nous a répondu qu’un agent allait nous être dépêché sur-le-champ.
Donc, si Anacrites avait quitté le palais cette nuit-là, c’était probablement pour rencontrer Valentinus discrètement et mettre au point avec lui sa mission à Cordoue.
— Tout devient clair, affirmai-je. J’ai l’impression que Cornelius s’est montré très efficace. Est-ce que le nouveau questeur va continuer à s’occuper de ce problème de l’huile d’olive ?
Je m’étais efforcé de garder une expression totalement neutre, mais le proconsul n’était pas né de la dernière pluie. Il savait exactement où je voulais en venir. Le nouveau questeur était le fils de celui qu’on soupçonnait de tirer les ficelles. La situation pouvait devenir très délicate.
— Le nouvel arrivé n’a pas encore eu le temps de se familiariser avec le sujet, déclara-t-il.
Et j’en retirai l’impression qu’il me demandait de ne pas l’entretenir de cette affaire.
— Je crois savoir qu’il est déjà à Cordoue.
— En effet. Il est venu jeter un coup d’œil à son bureau, mais il ne s’est pas attardé. Je lui ai donné la permission de partir chasser. C’est toujours mieux de commencer par les laisser se défouler, assura-t-il, le visage de marbre.
Le sens caché de ses paroles ne m’échappait pas. Quinctius Quadratus devait uniquement sa nomination à l’influence de son père au Sénat. Le gouverneur de Bétique avait été mis devant le fait accompli. L’empereur pouvait exercer un droit de veto, mais la famille Quinctius n’avait officiellement rien fait pour mériter une telle disgrâce.
— J’ai rencontré son père à Rome, précisai-je.
— Alors tu dois savoir que Quinctius Quadratus m’est envoyé avec les meilleures recommandations, dit-il sans laisser transpirer la moindre ironie.
— J’ai surtout constaté que son père possédait de nombreux appuis et menait grand train.
— Il serait sans doute déjà consul si la liste des gens méritant une récompense n’était pas aussi longue.
En arrivant au pouvoir, Vespasien avait été obligé d’offrir des honneurs aux amis
Weitere Kostenlose Bücher