Dans l'intimité des reines et des favorites
derrière une tapisserie.
Hélas ! les députés, eux, firent la sourde oreille, et Henri IV dut connaître l’humiliante nécessité de s’adresser à la reine d’Angleterre, qui lui prêta deux cent mille écus, et à la Hollande, qui lui consentit une avance de quatre cent cinquante mille florins.
À Rouen, au milieu de ses soucis, une grande joie devait tout de même échoir au bon roi Henri : c’est là que Gabrielle donna le jour à leur deuxième enfant : une fille qu’on prénomma Catherine-Henriette.
Au début de février 1597, la cour quitta la Normandie et rentra à Paris où le roi se mit sans plus tarder à dépenser l’argent qu’on lui avait prêté, en organisant des bals somptueux pour distraire sa maîtresse.
On le vit même un certain jour de février pousser l’inconscience jusqu’à faire une mascarade et à visiter toutes les maisons où l’on donnait un divertissement. Gabrielle, qui était pendue à son bras, « le démasquait et le baisait partout où il entrait », nous dit un chroniqueur.
C’est au cours d’une de ces fêtes, un soir de mars, alors que princes, seigneurs et gentilshommes lutinaient les dames avec une belle impudeur, qu’on vint lui apprendre la prise d’Amiens par les Espagnols.
La nouvelle le stupéfia.
Après un an passé à « rire et à baller », le roi se trouvait brusquement au bord de l’abîme. Paris, en effet, risquait d’être attaqué par l’ennemi et pris à son tour…
Bouleversé, extrêmement pâle, le Béarnais pensa à haute voix :
— C’est assez fait le roi de France, dit-il, il est temps de faire le roi de Navarre !
Puis il se tourna vers Gabrielle qui pleurait :
— Ma maîtresse, il faut quitter nos armes et monter à cheval pour faire une autre guerre.
Les invités se retirèrent dans le plus grand désarroi et la favorite, se sentant peut-être indirectement responsable de cette seconde défaite, réunit à la hâte tout l’argent qu’elle put se procurer, environ cinquante mille livres, et le remit au roi. Après quoi, elle se fit préparer une litière et quitta Paris dès l’aube avec les premières troupes qui marchaient sur Amiens.
Ce départ ressemblait à une fuite, et c’en était une d’ailleurs. Connaissant les sentiments des Parisiens à son égard, la favorite ne voulait pas rester seule dans la capitale en l’absence du roi. Elle préférait partager la vie des soldats qui allaient mettre le siège devant la cité prise par les Espagnols.
Henri IV la suivit de près et, le 28 mars, ils étaient tous deux sous les murs d’Amiens.
Vingt mille hommes se trouvaient déjà à pied d’œuvre dans un immense camp, tout hérissé d’enseignes et d’oriflammes claquant au vent. Gabrielle fit planter sa tente de cuir non loin de celle du roi et commença à donner son avis sur les opérations militaires, ce qui ne tarda pas à créer une grande confusion.
La présence de la favorite amusait d’ailleurs les soldats qui composaient entre eux des chansons ordurières et ne se cachaient pas pour dire que leur camp était devenu un bordeau… Cette grosse plaisanterie avait le don de faire rire le roi…
— Il faut bien qu’ils s’occupent, disait-il.
En effet, les Espagnols qui possédaient des ressources considérables se gardaient bien de sortir et les Français, qui manquaient d’artillerie, ne pouvaient attaquer. Chacun restait donc sur ses positions. Bientôt, d’astucieux commerçants, comprenant que le siège serait long, vinrent installer des petites boutiques volantes pour offrir quelques distractions aux militaires. « Il n’y avait jusqu’aux cabarets, tavernes et cuisines de Paris, dit Legrain, qui ne fussent transportés aux tentes de l’armée et marqués de la même enseigne qu’ils avaient dans la capitale. En sorte qu’on disait que c’était une seconde ville de Paris nouvellement bâtie devant Amiens. »
Ce camp étonnant eut rapidement l’aspect d’une immense foire et les gens des environs accoururent en foule pour le visiter. Des bandes de filles venaient s’y amuser avec les soldats, et les Espagnols, stupéfaits, se demandaient, du haut de leurs murailles, en l’honneur de qui avait lieu cette kermesse.
Il vint même des dames et des gentilshommes de Paris, ravis de connaître l’atmosphère d’un siège. Gabrielle d’Estrées, jouant les maîtresses de maison, leur faisait visiter les différents quartiers, leur expliquait le
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