Dans l'intimité des reines et des favorites
des jeunes gens boutonneux seraient heureux de profiter de son expérience.
La couronne, les biens, la richesse ? Elle s’en moquait, pourvu qu’elle eût de quoi nourrir ceux qui lui donnaient le seul plaisir qu’elle aimât…
Gabrielle d’Estrées, dont elle savait que le roi voulait faire sa femme, la laissait pareillement indifférente. Mieux, elle montrait presque de l’amitié à son égard. C’est ainsi que, lorsque Henri IV disposa en faveur de la favorite d’une magnifique abbaye qui lui appartenait, elle se déclara enchantée, ayant reçu trop de plaisir, écrivit-elle au roi, que chose qui dépendait de moi ait pu être propre pour témoigner à cette honnête femme combien j’aurai toujours de volonté de servir à son contentement et combien je suis résolue d’aimer et honorer toute ma vie ce que vous aimerez [131] .
À quelque temps de là, elle poussa l’amabilité jusqu’à écrire à Gabrielle elle-même cette incroyable lettre :
Prenez, je vous prie, assurance de moi et m’obligez tant que de la donner au roi et de croire que mes désirs se conforment entièrement à ses volontés et aux vôtres. J’en parle en commun, les estimant si unies que, me conformant à l’une je le serai aussi à l’autre… Je vous prierai trouver bon que je vous parle librement et comme à celle que je veux tenir pour ma sœur et que, après le roi, j’honore et j’estime le plus…
On ne peut pas être plus gentil avec la maîtresse de son mari.
La favorite fut très touchée par cette lettre et pensa avec joie que la répudiation se ferait sans trop de difficultés.
Mais elle était prudente et savait ne pas se fier uniquement aux hasards de la chance.
C’est pourquoi, tandis que M. Erard continuait ses négociations, elle préparait avec ses conseillers intimes (et avec sa famille) une combinaison qui devait lui assurer une souveraineté indépendante et héréditaire pour elle et ses enfants. Desclozeaux, son principal biographe, nous dit à ce propos : « Ses proches n’apportaient aucune réserve dans leurs velléités ambitieuses et il fut un moment où ils parlèrent même de constituer en Champagne ou en Franche-Comté une principauté relevant de la couronne et tenue à foi et hommage par Gabrielle et son fils César [132] . »
Mais un tel cadeau ne pouvait s’obtenir de la seule générosité de l’amant : il fallait mériter la reconnaissance du roi en étant l’inspiratrice d’une conquête ou d’un grand fait d’armes. C’est pourquoi, le 17 janvier 1595, Gabrielle poussa Henri IV à déclarer la guerre à l’Espagne [133] …
Aussitôt, Philippe II , qui s’était assuré le concours des Ligueurs, riposta en envoyant des troupes en Picardie, en Bretagne et en Bourgogne, où quelques héros commencèrent à s’étriper avec soin. Mais les premiers combats ne furent pas très sérieux, et Henri IV , qui détestait se déranger pour rien, continua de goûter les douceurs de la paix aux côtés de Gabrielle dont les talents amoureux l’émerveillaient chaque jour un peu plus. Depuis qu’elle rêvait d’une couronne, la favorite, en effet, se surpassait…
En reconnaissance, le roi lui fit alors cadeau du château de Montceaux, fort beau domaine situé à deux lieues de Meaux, que Gabrielle aménagea immédiatement de façon confortable et luxueuse grâce aux sommes considérables que le Trésor lui versait chaque année. Naturellement, le meuble auquel elle était redevable de tant de bienfaits fut l’objet de soins particuliers. Immense et capable de résister aux joutes amoureuses les plus ardentes, il occupait la moitié de la chambre. Surmonté d’un baldaquin aux rideaux de velours jaune, ses draps étaient de satin blanc et ses taies d’oreillers de soie brodée d’argent aux chiffres H et G entrelacés.
Un tel luxe, au moment où le menu peuple criait misère et où le roi lui-même manquait d’argent, fit jaser. De nombreux pamphlets inspirés par les Ligueurs circulèrent dans Paris contre celle qu’on appelait déjà la marquise de Montceaux [134] , et des chansonniers, des poètes se permirent de lui envoyer de petits conseils rimés qui témoignent de la liberté de ces heureux temps.
Je n’en donnerai qu’un exemple, ce sonnet d’une étonnante audace adressé à Gabrielle par Guillaume de Sablé :
Pensez, Madame, à vous : la fortune est muable ;
Vous avez la faveur, ne la négligez
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