Dans l'ombre de la reine
apposer sa signature ou à en vérifier une autre. Forster ou Ellis lui lisaient son courrier, lorsque c’était nécessaire. J’appris de ses servantes qu’avant sa maladie elle s’était intéressée à la gestion du domaine, dictant de fréquentes lettres à un clerc ; désormais, Forster et Ellis (qui était intendant aussi bien que majordome) se chargeaient de toutes ces tâches. C’est ainsi que le bureau, inutilisé, avait fini par rester fermé. Les plumes, l’encre et le parchemin s’y trouvaient, et pour écrire une lettre, il me fallait la clef.
Amy l’avait égarée. Elle souffrait encore ce jour-là. Je n’insistai pas, me contentant de lui dire avec douceur que, si elle le permettait, je chercherais moi-même dans les endroits les plus probables. Elle hocha la tête, puis s’adossa contre son oreiller en fermant les yeux. J’essayai divers tiroirs et placards dans sa chambre, en vain, après quoi j’allai au salon pour y tenter ma chance. Je retournais les vases quand Pinto me surprit et exigea de savoir ce que je faisais.
— Je cherche la clef du bureau. Sauriez-vous où elle se trouve, par hasard ?
Pinto se redressa de toute sa taille.
— La clef du bureau ? Et que comptez-vous en faire, je vous prie ?
— Je veux écrire une lettre.
— Vous ? Une lettre ?
Je la fixai avec stupeur. L’instruction était normale, dans ma famille. Même mon oncle et ma tante, qui me considéraient si peu, n’avaient guère soulevé d’objections avant de me laisser étudier avec mes cousins. Les Blanchard montraient une attitude similaire et Sir Thomas Gresham tenait ce genre d’acquis pour évident. Maintenant, je comprenais que Pinto, qui maîtrisait mal ces connaissances et détestait m’écouter lire, jugeait ces compétences présomptueuses chez une femme. Mon désir d’écrire une lettre ne lui inspirait que méfiance.
— Je suis maman d’une petite fille, expliquai-je calmement. Elle vit dans le Sussex avec sa nourrice. Je voudrais juste m’assurer qu’elles vont bien, et envoyer tout mon amour à ma petite Meg. Je n’ai pas eu de leurs nouvelles depuis si longtemps !
Je n’eus pas à feindre la tristesse, car elle était réelle. Je glisserais une lettre pour Bridget avec celle destinée à Sir William Cecil, et demanderais à John de la remettre également.
— Oh ! Je vois.
Pour la première fois, je décelai un très léger ton d’excuse chez Pinto, et je tâchai aussitôt d’en tirer parti.
— Pinto, je regrette que vous ayez tant de prévention à mon encontre. Croyez-moi, je suis venue de bonne foi pour vous aider. J’ai beaucoup d’affection pour votre maîtresse, et je pense que j’en aurais pour vous, si vous le permettiez.
Son regard reprit une expression glaciale.
— Je serais folle de me fier à son envoyée.
— Vous parlez de Sir Robin Dudley ?
— Oui ! Je m’occupe de Madame depuis qu’elle est petite. Je servais sa mère, avant elle. Elle est tout ce que j’ai ; je l’aime et je ne permettrai pas qu’elle se laisse duper par une personne malintentionnée. Je n’ai aucun moyen de le vérifier, par conséquent je ne veux pas prendre de risque.
— En quoi pourrais-je lui faire du mal en écrivant à la nourrice de ma fille ?
Elle me regarda fixement, tâchant de s’habituer à cette image inattendue de moi : une mère anxieuse d’avoir des nouvelles de son enfant.
— Pinto, j’aime vraiment beaucoup Lady Dudley. Je voudrais tant que vous me croyiez !
Elle continua à me fixer, puis répondit d’un ton bourru :
— Oh, et puis qu’importe ? Je vais la perdre, de toute façon. Elle se meurt. C’est moi qui garde la clef du bureau. Je vais vous la chercher. Écrivez à qui bon vous semble.
Alors qu’elle se détournait, je crus entendre un sanglot.
C’était une lettre prudente. Les Cecil, en contact permanent avec la reine et la cour, devaient savoir que j’étais à Cumnor, mais j’expliquai néanmoins qu’on m’avait demandé de tenir compagnie à Lady Dudley, et de la persuader que nul ne songeait à lui porter atteinte, contrairement aux bruits répandus. Je confiai ensuite que, maintenant que j’étais là, je n’étais pas certaine que ce fût vrai ; que, par hasard, j’avais surpris des bribes de conversation qui m’effrayaient. J’avais besoin d’aide et de conseils. Je ne mentionnai aucun nom. Cecil devinerait qu’il s’agissait de Dudley, et personne ne pourrait m’accuser
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