Dans l'ombre de la reine
s’enchaînèrent dans ma tête. « Oh, non ! me dis-je avec désespoir. Non, par pitié, pas cela ! »
Je vouais déjà une immense admiration à Élisabeth et, d’autre part, elle était la reine. Si elle était mêlée à un tel forfait et si cela s’éventait, le pays entier en serait ébranlé.
Non ! me répétai-je. Elle ne commettrait jamais cette folie. À coup sûr, si fort qu’elle désirât Dudley, elle prendrait patience !
Les amoureux perdaient souvent la tête. C’était un argument en faveur des mariages arrangés, comme Tante Tabitha se plaisait à le souligner. Elle citait alors l’infortune de ma mère, triste conséquence d’une passion illicite.
Dale vint m’assister dans ma toilette matinale. J’étais allée auprès de Lady Dudley en robe de chambre, et pendant que Dale me brossait les cheveux, puis m’aidait à enfiler mes manches, mon corset et ma jupe, je demeurai aux prises avec mes pensées. Je m’habituais, depuis quelque temps, à l’idée déplaisante que Dudley se servait de moi et feignait l’anxiété envers Amy tout en ourdissant sa mort. Essayait-il aussi de convaincre Élisabeth de son innocence ?
Cela paraissait très logique et me réconfortait, car, dans ce cas, elle-même s’en trouvait innocentée. Mais comment en avoir l’assurance ? Je retournais toutes ces pensées dans mon esprit, sans que jaillît le moindre éclair d’inspiration.
Amy s’assoupit, ce matin-là, et à son réveil elle se sentait un peu mieux. Elle nous fit appeler pour l’aider à passer une robe ample, puis, comme de coutume, elle s’agenouilla devant son prie-Dieu. Je m’armai de courage à la perspective de nouvelles supplications déchirantes. Mais cette fois, à ma grande surprise, un changement se produisit. Avec un calme inhabituel, elle récita simplement le Pater puis déclara par deux fois : « Que Votre volonté soit faite. » Elle s’installa sur une chaise et me pria de lui faire la lecture.
Plus tard, Verney demanda, par pure forme, à être reçu dans la matinée, mais Amy fit répondre qu’elle ne se sentait pas assez bien. Après le déjeuner, je vis Verney et Holme repartir à cheval.
C’était un vendredi. Je passai la fin de la semaine à me tourmenter. Je n’avais pas d’informations précises, rien que des soupçons invérifiables. J’évoluais en eaux troubles, dans le brouillard et sans gouvernail. Il y avait eu des intrigues chez Sir Thomas Gresham, et la vie à Faldene avait été fertile en désagréments, mais jamais encore je n’avais été confrontée à une conspiration meurtrière. J’étais totalement désemparée.
Je devais chercher conseil, mais vers qui me tourner ? Les yeux grands ouverts la nuit, me colletant avec ce problème, j’envisageai la solution la plus téméraire : écrire à Dudley lui-même. S’il ne tramait rien contre son épouse, il pourrait chercher à découvrir ce qui se passait en réalité. S’il était coupable, il renoncerait peut-être à son plan éventuel. Ou alors, il trouverait un moyen de se débarrasser de moi en même temps que d’Amy ! Au plus noir de la nuit, mon esprit imaginait mille horreurs.
L’aube venue, ces pensées effroyables semblaient ridicules, mais dès que la nuit tombait sur les vieux murs glacés, qu’on allumait les chandelles et que les ombres s’épaississaient, elles revenaient de plus belle.
Supposons que, plutôt qu’à Dudley, j’écrive à la reine ? Cependant, la crainte infime, odieuse, qu’elle fût complice de cette perfidie ne me quittait pas tout à fait. Je ne pouvais y croire, mais tant que le doute subsistait, je n’osais m’adresser à elle.
Toutefois, il y avait Cecil ! Me tournant et me retournant dans mon lit pendant la nuit de dimanche, je me rappelai que sa femme et lui m’avaient recommandé de les consulter à la moindre difficulté. Oui, je demanderais conseil à Sir William Cecil, et John serait mon messager.
Il apparut très vite qu’à Cumnor Place, le fait d’écrire une lettre, que j’avais toujours considéré comme banal et routinier, exigeait une âpre persévérance.
Amy Dudley, quoique peu cultivée, n’était pas stupide pour autant ; dans ses bons jours, on voyait que sans sa maladie, elle eût été une très jolie jeune femme, douce et spirituelle. Malgré son état, elle conservait beaucoup de dignité.
Néanmoins, elle manquait d’instruction. Elle savait lire et écrire, mais elle se bornait à
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