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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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Qu’on les accroche à la lanterne, et ça ira !
    — Citoyens ! lança soudain un homme qui, sous un tricorne frangé, avait le sourcil irascible et la mine sévère. La citoyenne a raison ; les gardes du corps ont piétiné la cocarde nationale pendant l’odieux banquet du 1 er  octobre ! Si une telle profanation demeurait impunie, mériterions-nous encore le nom de Français ?
    — Non, à la lanterne les aristocrates !
    Antoine considéra Amélie avec embarras. L’orateur poursuivit son discours.
    — Mes amis, le bras du peuple doit s’abattre lourdement sur les âmes viles qui ont tramé l’odieux complot. Les aristocrates voulaient livrer Paris au carnage afin d’exterminer tous les patriotes. Voilà, citoyens, le plan atroce que ces traîtres à la patrie avaient ourdi au cours de leurs infâmes bacchanales !
    — En avez-vous la preuve ? se risqua un badaud.
    — Comment ! reprit l’homme, vous osez douter, vous osez qualifier de mensonges les cris épouvantés de mille citoyens innocents que menace un fer sacrilège !
    La tête de l’orateur, étranglée par une cravate à jabot, devint cramoisie de colère.
    — Je n’ai pas dit cela, répondit le gobe-mouche tout penaud…
    Mais la foule le regardait déjà comme un traître ; il comprit qu’il valait mieux se taire avant de s’éclipser sur la pointe des pieds. Un déserteur, à la mine sinistre, avait la main droite crispée sur son gourdin tandis qu’un vaurien cherchait du regard une corde et une lanterne. Le badaud s’évapora.
    — Non, croyez-moi, douter encore, alors que nous possédons tant de preuves du complot, c’est prendre le parti des criminels. Quoi ! Il faudrait des preuves, quand, de tous côtés, nous reviennent les récits des trames les plus infâmes organisées par les proches de la reine ! Et nous exigerions des écrits signés pour confondre ceux qui ont surpris la religion du plus bon des rois ? N’a-t-on pas vu ces scélérats arborer des cocardes aussi noires que leur âme pour en imposer au peuple et injurier la Nation ? Rendons grâce, citoyens, aux femmes de Paris, qui sont parties crânement réclamer du pain à Versailles et déjouer les complots de ces tigres à face humaine. Ah ! Qu’elles sont admirables, nos amazones ! Elles entendaient gémir leur enfant, et leur cœur de mère, déchiré de ne pouvoir les satisfaire, les a conduites à s’armer pour braver tous les dangers. Oui, le peuple souffre de la disette au moment même ou les gardes du corps du roi organisent des orgies, dignes d’un Caligula.
    L’éloquence la plus emphatique et l’hyperbole la plus insupportable étaient si courantes à l’époque que personne n’en fut surpris. Antoine vit cependant qu’Amélie était à la fois triste et inquiète.
    — Ne vous méprenez pas sur cette diatribe, lui murmura-t-il, les mots des patriotes dépassent souvent leurs pensées.
    — J’aimerais vous croire, Antoine… Mais les accusations deviennent aujourd’hui des preuves et les soupçons des verdicts.
    Le visage d’Amélie se détendit un peu. Elle lui sourit.
    — Je suis sûr que vous rêvez d’aller chercher votre uniforme de la garde nationale pour rejoindre M. de La Fayette et vous trouver là-bas, où tout se passe, au cœur même de l’Histoire. Je crois vous connaître déjà un peu, mon ami ; je sais que votre jeunesse vous emporte et que votre sang bouillonne d’impatience. J’espère seulement que, par contraste, cette fougue ne vous rendra pas nos promenades importunes.
    — C’est impossible. Il n’y a pas d’autres endroits où je rêverais d’être qu’auprès de vous.
    Elle l’observa, visiblement touchée par cette déclaration inattendue. Mais elle le fit d’une telle manière que, sans paraître indifférente, elle ne dévoilait pas ses sentiments. Bien qu’elle fût spontanée, elle manifestait une sorte de virtuosité dans la séduction. Elle parvenait à trouver le juste milieu, l’équilibre presque parfait entre l’intérêt qu’elle portait au Toulousain et la distance qu’elle souhaitait maintenir avec lui. Antoine se sentait comme le poisson ferré que le pêcheur taquine avant de relever sa canne. Il devait constamment lutter contre sa propre ardeur. Il avait une furieuse envie de la prendre dans ses bras. Et, dans le même temps, l’attitude dilatoire d’Amélie le rendait fou de joie. Désormais, le monde pouvait chavirer ! Révolution ou despotisme, tout lui

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