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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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stupide, mais la certitude que, pour la première fois, le peuple allait pouvoir concourir au bien public. Non, je n’avais pas peur.
    — Votre père n’était-il pas inquiet de vous savoir sur les grands chemins ?
    — Mon père, inquiet ? Ce n’est pas dans ses habitudes. Il considère que la peur est femelle. Il m’a élevée en garçon ; ou plutôt, non, il ne m’a pas élevée du tout, c’est moi qui ai cru lui plaire en portant ce masque ; il a toujours regretté d’avoir une fille. Je ne me suis d’ailleurs jamais comportée comme telle pendant mon enfance. Je rentrais toujours au manoir les membres écorchés et les vêtements en lambeaux. Je grimpais aux arbres, je sautais des toits et méprisais les jeux des filles.
    — Vous en avez pourtant conservé la délicatesse.
    Amélie répondit par un sourire gêné. C’était la première fois qu’elle se confiait autant. Elle en fut un peu honteuse et sentit en même temps qu’une force irrésistible la poussait à parler. Antoine réfléchit quelques instants.
    — Voulez-vous m’accompagner à l’Assemblée nationale ?
    À ces mots, le visage de la jeune fille s’illumina.
    — Rien ne pourrait davantage me plaire.
    — Alors, je vous y emmènerai la semaine prochaine… si votre tante y consent bien entendu.
     
    Il vint la chercher, le vendredi suivant, comme convenu. Amélie n’avait jamais pénétré dans ce qu’on appelait alors, avec une pointe d’emphase, le temple de la Nation. Cette visite revêtait pour elle l’importance d’un rite initiatique. Son maintien un peu raide, sa démarche elle-même prirent une tournure cérémonieuse. En lui tenant le bras, Antoine avait l’impression qu’ils allaient célébrer leur mariage. La salle des Menus Plaisirs était bien trop immense pour être bondée. Et pourtant, plus de mille personnes s’y pressaient déjà, remuant, murmurant et applaudissant à tout rompre. Dans les galeries, les chapeaux à plumes se mêlaient aux bonnets et aux perruques poudrées. Le brouhaha était permanent et, bien que la salle eût été aménagée en amphithéâtre, il fallait aux orateurs un organe puissant pour s’y imposer.
    Antoine avait choisi à dessein la date du 11 septembre ; il savait que, ce jour-là, les députés trancheraient la question du veto royal. Pour son baptême parlementaire, Amélie devait assister à une séance historique. Ce qu’elle découvrirait en sa compagnie serait associé à lui pour toujours, un peu comme si, dans chaque domaine – amour, art, politique – il lui faisait perdre sa virginité.
    La plupart des députés avaient les traits tirés et le teint livide d’hommes qui consacrent l’essentiel de leur temps à la Nation. Ils avaient déjà aboli les privilèges et composé la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Ils devaient encore lutter contre la banqueroute de l’État, créer les départements, réformer la procédure criminelle, l’Église, l’Armée et, surtout, donner une Constitution à la France…
    La joute s’annonçait vive. Le Toulousain piaffait. Les plus grands orateurs défilaient à la barre.
    Amélie se pencha vers Antoine.
    — Quel est donc cet ogre goguenard au visage couturé par la vérole ?
    — Lui ? C’est Mirabeau.
    La jeune noble n’eût pas davantage écarquillé les yeux si elle avait vu un demi-dieu descendre du Capitole ou de l’Olympe.
    En apparence, Amélie avait une vision bien plus livresque que charnelle de la Révolution. Elle en suivait le cours dans les moindres détails, lisant et décortiquant tout ce qui pouvait s’imprimer. Elle portait un intérêt particulier au marquis de Condorcet, dont les idées sur l’éducation et le droit des femmes l’enthousiasmaient. Une connivence d’une autre nature, à la fois plus tendre et plus douloureuse, la liait secrètement au comte de Mirabeau. Elle se reconnaissait dans cette victime de la violence paternelle, dans ce personnage singulier dont la truculence et le verbe mutin dissimulaient un fond de mélancolie.
    Quelques personnages célèbres prirent la parole, les comtes de Beaumetz et de Lally-Tollendal, l’abbé Grégoire, et puis encore Target, Camus, Tronchet, Lanjuinais, Guillotin, Rabaut-Saint-Étienne…
    Les débats ne s’achevèrent qu’à l’après-dîner, vers seize heures, dans la plus grande confusion. Depuis les galeries, le public sifflait ou accablait d’injures les partisans du veto absolu. L’Assemblée

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