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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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de l’enfer…
    Antoine n’était pas loin de partager ce constat plein d’innocence.
    — Mais pour vous, c’est différent, poursuivit-elle, vous êtes un homme…
    — Évidemment, je suis plus libre que vous… Mais Toulouse n’est pas une grande ville, les habitants de chaque paroisse se connaissent et il est difficile d’y faire un pas sans être épié. On sait qui entre au cabaret ou sort de la messe.
    — À propos de messe, croyez-vous en Dieu ?
    Antoine gloussa de surprise.
    — Oui, bien sûr, quelle étrange question !
    — Des philosophes se la posent sérieusement, rétorqua la jeune fille un peu froissée.
    — Eh bien, je ne connais aucun de ces philosophes. Ils ne doivent pas être bien nombreux.
    Il l’observa d’un œil taquin avant de poursuivre.
    — En vérité, je ne crois pas au Dieu de nos curés, à tous leurs anges, ni à leur fatras de Diable, de purgatoire et de miracles.
    — Vous voyez, s’amusa-t-elle, vous blasphémez vous-même. Ma mère me renierait si je disais le centième de vos hérésies.
    — Et c’est vous, pourtant, qui parlez d’athéisme ! Vous êtes une bien curieuse personne. Mais j’aime la façon que vous avez de vous jeter dans la mêlée.
    Amélie baissa les yeux. Elle rougit encore très légèrement. Elle était si belle ! Ni la Vierge Marie ni aucun des anges du ciel n’avaient le quart de cette pureté-là.
    — Savez-vous que je suis d’origine protestante ? reprit-il sur le ton plus humble de la confession.
    — Ma tante me l’a appris.
    Comme par réflexe, et en bon descendant de persécutés, le Toulousain scruta avec inquiétude la réaction d’Amélie.
    — Cela m’est bien égal, dit-elle. Je considère la plupart des calvinistes comme des gens de bien. Il me semble d’ailleurs qu’une branche de notre famille avait autrefois embrassé la Réforme.
    Il la considéra avec gratitude, comme si elle venait de lui ôter un poids énorme. Ils se dirigèrent vers les boulevards. Trop occupé à surveiller ses manières, le Toulousain en oublia son programme et, avec lui, toutes ses gasconnades du Louvre et de la Bastille.
    Ils s’assirent dans les allées ombragées. Il s’était rapproché d’elle pour commenter les devises de poètes qui enrobaient leurs bonbons au marasquin. Il s’enivra de son parfum tout en observant les détails de son visage, le mouvement de sa bouche, l’expression de ses yeux. Amélie feignit de ne pas s’en apercevoir.
    Le boulevard du Nord était une vaste chaussée complantée d’arbres. Assises dans les contre-allées, des femmes de toutes conditions observaient avidement les va-et-vient des passants et la navette des belles voitures flanquées de leur valet nègre. Ils poursuivirent leur promenade, dépassant le théâtre de l’ Ambigu Comique , le poste de garde et le Vaux Hall d’été, à l’extrémité de la rue de Bondy. Le boulevard du Temple était le royaume des petits vendeurs à la criée, des rhéteurs de taverne et des bonimenteurs qui tentaient de fourguer leur camelote aux chalands. Les fleuristes portaient leurs plateaux chamarrés sur le ventre ; les Savoyards faisaient jouer de petits singes ou tiraient des pains d’épice à deux liards. Le couple s’arrêtait constamment et s’amusait du spectacle coloré de la rue. Ils visitèrent les boutiques d’oiselier, regardèrent les tours des paillasses, virent même une femme à barbe et quelques monstres cornus.
    Il était trop tôt pour aller se divertir d’une pantomime ou d’un mélodrame à l’ Ambigu Comique   ; ils continuèrent donc leur chemin vers l’ouest, profitant d’une pause devant l’Opéra pour s’y faire décrotter les souliers. Puis, après avoir flâné aux alentours des Bains Chinois, ils allèrent se restaurer chez un traiteur, rue Basse-du-Rempart. Près d’eux, un groupe de jeunes gens, plutôt bruyants, arborait leur cocarde tricolore et buvait à la santé de la Nation.
    — Que pensez-vous de la Révolution ? demanda Antoine de manière un peu abrupte.
    — J’en suis très enthousiaste, répondit-elle sans se décontenancer… Savez-vous qu’en juillet, alors que la peur gagnait les campagnes et que chacun vivait dans la terreur des brigands, j’ai voyagé en toute confiance. Je riais même de joie. Les paysans me prenaient pour une folle !
    Elle reprit sur un ton plus grave.
    — Croyez-moi, ce n’était pas l’expression d’une foi béate, une sorte d’illusion

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