Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
Vom Netzwerk:
modifiée. Il ne voulut pas insister.
    — À propos, avez-vous des nouvelles de notre ami Virlojeux ?
    Le visage du comte se transforma subitement. Il mit du temps à répondre.
    — Non, je n’en ai plus depuis plus d’un an. Il s’est éloigné de moi après Varennes. Nous n’avions plus les mêmes idées, mais cette façon de partir, sans même écrire une lettre… Chaque fois que je l’ai croisé dans Paris, il m’a ignoré, pas ouvertement certes, mais je voyais bien qu’il ne voulait plus s’afficher avec moi…
    Le comte s’interrompit un instant, sous l’effet de l’émotion.
    — Je croyais que nous étions amis ; je tenais à notre relation. Vous l’avouerai-je ? Lorsqu’il est parti, j’ai ressenti…
    Il se mordit les lèvres.
    — … une sorte de dépit amoureux. C’est ridicule, n’est-ce pas ? Je n’ai jamais nourri de sentiments ambigus pour un homme, et, cependant, j’étais alors désorienté comme si une femme m’avait quitté. Nous étions si proches, il avait pris une telle place dans ma vie, lui, Gaspard, amical, attentionné, curieux de tout… Il avait su se rendre indispensable. Mais un jour, subitement : le silence, le vide, rien. Il a disparu sans laisser de trace ni donner la moindre explication. Ses mots me manquaient comme de l’opium. Je les recherchais, je les attendais. J’avais été mis à nu, puis abandonné, ou plutôt jeté, oui, c’est cela, jeté. Le contraste m’a fait réaliser à quel point notre amitié remplissait mon existence. Il m’a fallu plus de six mois pour apaiser cette douleur. Je n’arrêtais pas de penser à nos conversations, d’en soupeser chaque mot pour tenter de comprendre la faute que j’avais pu commettre. Enfin, j’ai tout essayé pour briser ce lien.
    — Y êtes-vous parvenu ? demanda Antoine, un peu effrayé.
    — Oui, mais il reste tout de même une blessure. Vous devez me juger durement et me trouver très faible à mon tour.
    — Non, répondit le peintre, songeur.
    Antoine ne le jugeait pas, mais il était abasourdi. Virlojeux faisait sortir les êtres de leurs limites. Ils les habitaient totalement avant de les laisser choir comme un serpent abandonne sa peau après la mue. Antoine en avait la preuve sous les yeux : Gaspard conduisait indirectement un officier d’âge mûr, un membre de la haute noblesse, à s’épancher devant un bourgeois de vingt-trois ans. Il faisait oublier à Neuville ses combats, son travail et jusqu’à sa femme et ses enfants. Il avait hanté son esprit comme il hantait toujours celui de Gabriel.
    — J’aimerais me faire mon opinion, reprit Antoine ; j’ai été proche de lui, moi aussi, bien que d’une toute autre manière. Savez-vous où je pourrais le trouver ? On ne le rencontre plus dans les lieux habituels.
    — Allez donc au cabaret du Soleil d’Or , rue Saint-Antoine, ou au Cadran Bleu , rue du Faubourg-du-Temple ; je ne sais pas si vous l’y trouverez, mais c’est là que se rendent souvent les patriotes de sa faction.
    Le comte s’arrêta un instant, visiblement embarrassé.
    — Peut-être lui parlerez-vous…
    Il n’acheva pas sa phrase, honteux de ce qu’il allait dire et qu’Antoine avait compris : peut-être lui parlerez-vous de moi . Quel terrible aveu !
    — Eh bien, j’irai, Monsieur. Mais vous, qu’allez-vous faire ? Quitter Paris et vous mettre à l’abri ?
    Neuville le fixa avec une expression de tristesse contenue. En l’espace d’un instant, il avait retrouvé sa dignité.
    — Dieu merci, ma femme et mes enfants sont en sûreté à Londres. Ils y attendront la fin de l’orage.
    — Oui, mais vous, vous Monsieur le comte, vous risquez…
    — Je sais… mais je refuse de fuir. Je prendrai un de mes fusils et j’irai défendre le roi aux Tuileries.
    — Vous ?… Vous savez ce qui vous y attend. Pourquoi ne pas partir, vous cacher, rejoindre votre famille, enfin sauver votre vie ?
    — Pour l’honneur, Antoine. Quel homme serais-je si, après avoir tant reçu du roi, je fuyais le jour où il est menacé de mort ? J’ai refait mon testament hier. Je remets mon âme entre les mains de Dieu. Je me sens calme, libéré de toute inquiétude. Je suis prêt.

IV
    Une grande effervescence régnait dans les rues de Paris. Depuis quelques jours, les allées et venues de citoyens armés, de gardes nationaux et de sectionnaires étaient incessantes. Cette agitation exceptionnelle contrastait avec l’activité ordinaire du

Weitere Kostenlose Bücher