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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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volant, mendiant, proposant leur force de travail aux plus offrants. Il les connaissait ces troupes de nez cassés, ces cohortes d’yeux noirs et de brèche-dents. Il appréciait leur gouaille argotique et ce vestige de candeur que la plus crasse des misères n’arrivait pas à détruire.
    Pierre se tenait au milieu de la bande, le pompon de laine au coin de l’œil, le poing sur la hanche et le regard insolent.
    — C’est qui ce muscadin ? interrogea un petit drôle dont le museau était couvert de tâches de rousseur.
    — Ferme-là, dit Pierre.
    Antoine s’approcha.
    — Comment vas-tu, Pierrot ?
    — Ça va qu’d’une fesse, glapit l’adolescent. T’es revenu de l’armée ?
    — Oui, pour quelque temps… Amélie m’a dit que tu ne venais plus chez nous. Ça lui fait de la peine, tu sais.
    — J’y peux rien…
    — Elle a encore des choses à t’enseigner.
    — Bah ! J’vais à la Société populaire, tous les dimanches. On est entre nous, les gens du peuple, et ça va bien comme ça.
    Il jeta un regard entendu à la bande avant de poursuivre.
    — Et puis, la saison des babillards est passée.
    On entendit un gloussement.
    — J’aimerais que tu viennes à la maison.
    — Pas l’temps…
    L’attention du groupe se fixa sur une escouade de Brestois qui rejoignait la caserne de la rue de Lourcine.
    — Tu ne veux pas me faire plaisir ? insista le peintre, quand les soldats furent passés.
    — Ma foi non ! D’ailleurs, j’te dois rien.
    Antoine reçut cette réplique comme une gifle. Il avait une furieuse envie de corriger l’adolescent. Il voyait bien que Pierre était devenu un chef de bande. Sous aucun prétexte, il ne devait perdre la face.
    — Bien sûr, tu ne me dois rien, mais par amitié…
    — J’ai affaire ici.
    — L’insurrection, c’est ça ?
    — Et qu’est-ce que tu crois ? Que j’vais manger des échaudées pendant que les autres font la Révolution.
    La troupe s’esclaffa.
    — Tu veux devenir un martyr ?
    — C’est toujours mieux qu’un lâche…
    Les garnements acquiescèrent en faisant un nouveau chahut.
    — Eh ! L’ancien ! dit soudain un escogriffe qui avait le dos courbé comme un arc. T’as l’air d’avoir le gousset bien garni. Et si on t’faisait cracher au bassin ? Fais donc voir un peu ton aubert .
    — Mon aubert  ?
    — T’as bien du baume , de la mazille , du sonica , de l’argent quoi ! Et va pas nous sortir un de ces torche-cadet d’assignats…
    — On n’a qu’à rosser ce drôle, suggéra un adolescent joufflu qui se trouvait à la gauche de Pierre.
    À peine eut-il achevé sa phrase que le tambour lui asséna un violent coup de poing sur l’épaule.
    — Foutre, tu m’as fait mal, tambour ! Qu’est-ce qui te prend ?
    Pierre ne répondit rien. Il avait un regard dur et coupant comme une lame ; l’autre se contenta de bougonner avant de se taire. Il n’y avait aucun doute, l’orphelin était le chef de la bande. Antoine connaissait cette violence ; il ressentait la même, bien que, depuis son mariage, il se fût considérablement apaisé. Mais, de temps à autre, il subissait encore une puissance incontrôlable, une force contre laquelle il s’épuisait à lutter.
    — Vaut mieux que tu partes, reprit Pierre…
    — Tu le veux vraiment ?
    L’adolescent opina de la tête. Antoine le regarda dans le fond des yeux une dernière fois puis tourna les talons.
    — Non attends ! cria soudain Pierre. Écoute donc ça : j’veux que tu saches pourquoi j’vais m’battre…
    Antoine s’arrêta.
    — Ma liberté, j’vais la gagner avec mes paluches, et cette fois, c’est pas un tambour que j’aurai sur le ventre… Vous, les bourgeois, vous dites que la Révolution est finie et vous allez tranquillement cagnarder dans vos cambrioles de milord. Et nouzailles , on a p’us qu’à fermer not’ gueule et à trimer. Mais la Révolution, elle fait que commencer, tu peux m’croire. C’est elle not’ famille, c’est elle not’ patrie. Nouzailles , on monte la garde, on est les sentinelles du peuple. La justice, on la rendra tout de suite, et ça ira !
    — La déchéance ou la mort ! braillèrent les autres
    Pierre aperçut soudain le regard triste d’Antoine. L’enfant esquissa un geste d’apaisement, mais il s’interrompit. Il n’avait pas les mots pour décrire ce qu’il avait vécu depuis six mois, les émeutes du sucre, en janvier, les ouvrières des blanchisseries qui

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