Dans l'ombre des Lumières
hésité à y citer des noms, à critiquer des mesures de la Législative, à dénoncer Marat, les clubs, Robespierre… Ne prenons aucun risque, surveille la rue et dis-moi si on vient pendant que je les brûle.
Amélie se précipita dans la chambre, ouvrit un secrétaire dont elle arracha un paquet de lettres. La nervosité rendit ses gestes gauches, mais elle parvint rapidement à se concentrer, lisant le courrier en diagonale, extrayant les pièces les plus compromettantes qu’elle courut jeter au feu.
— Pourvu que je n’aie rien oublié…
Elle énumérait les endroits qu’elle n’avait pas encore fouillés, les poches, les livres, les armoires… Elle n’aurait jamais le temps de tout vérifier.
— Attention, dit Antoine, ils approchent.
Amélie se dépêcha de disperser les cendres pour ne pas laisser de traces.
Un groupe d’hommes monta dans l’immeuble. On distinguait nettement le bruit de leurs pas. L’attente était interminable. Antoine essayait de se rassurer. Il se répétait que la Commune ne pouvait pas le tourmenter, lui qui s’était battu pour la Révolution et avait sauvé la vie d’un petit sans-culotte. Mais Amélie voyait bien que, malgré tous ses efforts, il était inquiet.
Ils entendirent des cris. L’ignorance de ce qui se passait devenait insupportable.
— C’est sans doute le voisin, l’ancien juge de paix ; on le dit aristocrate…
— Ils vont l’arrêter.
Ils se turent. Il n’y avait plus de bruit. Les garnisaires s’étaient dirigés du côté de la Halle. La rue semblait tranquille. Ils en profitèrent pour chercher d’autres papiers suspects. Ils en trouvèrent encore qu’ils s’empressèrent de brûler. Ils attendirent, une heure, puis deux en spéculant sur l’avenir ou en échangeant quelques mots de réconfort. Puis, vers minuit, ils s’endormirent enfin.
Ils furent réveillés par un terrible fracas. Des hommes hurlaient. Antoine se précipita à la fenêtre. Un groupe de citoyens, munis de flambeaux, se pressait au bas de l’immeuble. Les voix et les bruits résonnaient dans l’escalier. Au bout de quelques instants, on frappa violemment à leur porte en criant :
— Au nom de la loi, ouvrez !
Amélie regarda son mari l’air terrifié. Il alla ouvrir. Sur le seuil se tenait un officier municipal, flanqué de deux gardes nationaux et de plusieurs sectionnaires armés.
— Loisel, c’est toi ? demanda l’un d’eux.
L’homme avait une taille moyenne, des cheveux bruns, des lèvres luisantes et lippues. Il portait un haut-de-forme noir décoré d’un bourdalou, d’une boucle de cuivre rectangulaire et d’un plumet tricolore. Le visage était osseux, le teint safrané. Les lobes des oreilles, qui pendaient à l’excès et ressemblaient à des anneaux, lui donnaient une mine de flibustier.
— Que me veut-on ? répondit Antoine à la fois méfiant et agacé.
— C’est moi qui pose les questions.
L’homme lui lança un regard menaçant. Près de lui, un garde national que le Toulousain ne connaissait pas, détailla Amélie d’un air lubrique. À ses côtés, se tenaient un autre milicien et une demi-douzaine de sectionnaires. Enfin, un groupe d’hommes et de femmes piétinait sur le palier, mais le peintre ne pouvait distinguer leur visage.
— On nous a dit que tu fréquentais des aristocrates, reprit le commissaire.
— Peux-tu me montrer tes pouvoirs, citoyen, demanda Antoine avec une pointe d’inconscience.
L’homme ne répondit pas. Il arrêta de fixer le Toulousain, le temps de faire un signe à l’un de ses acolytes. Ce dernier exhiba un papier qui portait la signature des administrateurs de police Panis et Sergent. Il n’y avait aucun doute, la visite domiciliaire était officielle. Le commissaire se nommait Surin.
— Bon, tu vas me répondre maintenant, continua celui-ci avec un regard que l’insolence d’Antoine avait rendu carnassier.
— Je ne connais pas d’aristocrates.
— Tu mens, on t’a vu chez un ci-devant, nommé Neuville. J’ai là un procès-verbal qui le prouve. Il est signé par un citoyen que les vampires du peuple appelaient un domestique.
— C’est vrai, reconnut Antoine. Je cherchais un patriote que Neuville avait connu et dont je n’avais plus de nouvelles.
— Quelqu’un peut le confirmer ?
— Le patriote en question, il s’appelle Virlojeux. Il imprime le Fanal de la Liberté près de l’Abbaye ; tout le monde le connaît pour être un bon
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