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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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d’empêcher les trames de la Cour et d’aller me battre pour renverser le trône ? N’est-il pas aussi important d’exterminer les traîtres de l’intérieur que ceux qui peuplent nos frontières ? Tu me demandes pourquoi j’ai prolongé mon séjour. On dit que les aristocrates veulent profiter du départ des bons patriotes pour égorger leurs femmes et leurs enfants. J’ai voulu mettre la mienne en sûreté avant de partir. Est-ce un crime ? J’ai là, dans mes papiers, une lettre du ministère de la Guerre qui m’autorise à rester jusqu’au 6 septembre.
    — Eh ! Pourquoi des aristocrates s’en prendraient-ils à une des leurs ?
    — Elle n’est pas aristocrate. Je défie quiconque de prouver le contraire. Je vois, citoyen, que tu es un bon patriote et qu’on ne peut pas te tromper ; tu sais reconnaître la vertu quand tu l’aperçois. Nos actions, comme nos lettres, sont sous l’œil du peuple, vois et décide. Je ne crains pas ton jugement.
    Surin sembla un moment convaincu par cet exorde civique débité dans le goût emphatique du moment.
    Il s’adressa aux sectionnaires qui venaient d’achever la fouille.
    — Alors, ces lettres ?
    — Rien de particulier pour celles que nous avons eu le temps de lire, citoyen commissaire.
    Au même moment, le crépitement d’une bûche plus sonore que les autres attira l’attention de Surin. Le cœur d’Amélie et d’Antoine se serra au même instant. L’officier municipal lança un regard méfiant vers les Loisel, mais ne dit rien.
    — Bon, ça ira.
    Il considéra Amélie avec l’œil dépité du fauve à qui l’on vient d’enlever sa proie.
    — Salut et fraternité, fit-il entre ses dents.
    Ils sortirent.
    La nervosité faisait légèrement trembler Amélie tandis qu’Antoine était abasourdi. Il savait que leur position était dangereuse, mais jamais il n’eût imaginé qu’ils seraient si rapidement inquiétés.
     
    Un quart d’heure plus tard, ils assistèrent à l’arrestation du père Le Tellier. Toute la rue était illuminée. Au passage du prêtre, des badauds le menacèrent, lui crachèrent au visage, vomirent des injures depuis la rue ou la fenêtre de leur appartement. D’autres conservèrent le silence. Parmi eux, certains semblaient profondément consternés. Personne, bien sûr, n’osa protester. Antoine haïssait ces foules lâches et haineuses, leurs rires gras, leurs imprécations qui escortaient toujours les malheureux jusqu’à la prison ou à l’échafaud. Quelques années plus tôt, les mêmes auraient écharpé un huguenot qui eût blasphémé la Vierge ou manqué de respect à un curé. Ils appartenaient à cette longue lignée d’exaltés et de couards anonymes qui se tapissent dans la masse pour commettre leurs forfaits ; cette triste parentèle avait formé les troupes de la Ligue, brûlé les sorcières, applaudi aux dragonnades ; aujourd’hui, elle ne faisait que remplacer un fanatisme par un autre.
    — Qu’allons-nous devenir ? demanda Amélie.
    — Tu partiras pour la Vendée dès que possible.
    — Je ne veux pas.
    — Il le faut. Quand je serai à l’armée, je ne pourrai plus te protéger. L’idée de te savoir seule, à la merci des brigands, m’est insupportable. Je ne prendrai jamais un tel risque. Tu iras en Vendée, dès que les barrières de Paris seront rouvertes et que j’aurai obtenu un passeport à ton nom. Je vais en parler à Virlojeux. Il ne peut pas me le refuser. J’ai cru comprendre qu’il était proche de Panis. Il nous aidera.
    — Laisse-moi te suivre à l’armée. Je me ferai discrète, je m’occuperai de toi ; beaucoup de femmes suivent leur mari, pourquoi pas moi ?
    — Ma belle enfant, tu ne te rends pas compte ; tu ignores tout de la vie militaire. Je sais que tu es courageuse, que tu montes à cheval comme un hussard et que tu n’as pas peur du danger, mais il règne là-bas, comme ici, une noirceur dont tu n’as pas idée. Fais-moi confiance. Nous nous retrouverons dans quelques mois, dès que la campagne sera achevée et que nous aurons rejeté les Prussiens hors de France.
    1 - Pétition qui visait à protester contre l’invasion des Tuileries par la foule le 20 juin 1792.

VIII
    Virlojeux lui avait donné rendez-vous dans l’imprimerie de son journal, près de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés. L’effervescence des Parisiens n’avait jamais été aussi grande. Sur le front, la situation était catastrophique. Longwy avait

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