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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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entrèrent. Jean Laheu se trouvait à leur tête. Il se dressa sur ses étriers et hurla à pleins poumons :
    — Les Bleus ont eu la déroute, victoire !
    — Vive le Roi ! crièrent alors tous les paysans de la ferme.
    — Vive le Roi ! répondirent les cavaliers en levant à bout de bras leurs fusils ou leurs sabres.
    Ils descendirent de leurs montures et furent fêtés comme des héros par les gens de La Boissière. Amélie souriait ; elle ne se réjouissait pas d’une défaite républicaine, elle était simplement heureuse d’obtenir un léger sursis. Elle regarda Antoine et vit que le soulagement de son mari se mêlait d’un profond embarras.
    Ils offrirent à boire aux cavaliers trempés et fourbus. Une paysanne s’approcha d’eux, l’air gaillard.
    — Allons, mon Jean, conte-nous donc c’t’affaire que vous avez eue avec les Patauts !
    — Non, dit Amélie, mettons-nous d’abord devant un bon feu comme à la veillée.
    Ils s’installèrent gaiement autour de la cheminée et, après s’être rafraîchi, Jean leur conta toute l’histoire. Il leur dit comment les paysans avaient trompé les Bleus en chantant un pastiche de la Marseillaise , de quelle manière aussi ils s’étaient approchés par les flancs de l’ennemi, à l’abri des haies, avant de semer la panique parmi un bataillon de volontaires nationaux.
    — Par saint Georges ! fit un paysan, c’avions été toute une affaire avec c’te pluie qui, depuis des jours, arrêtait point de tomber. J’avions pas cru qu’on aurait eu la victoire et même qu’on a laissé les armes des Bleus pendant une semaine dans les champs avant de les ramasser. Ces bougres de lapins z’ont fui jusqu’aux Sables sans se retourner, et pis même jusqu’à La Rochelle !
    — Pour sûr, lança plaisamment un troisième, y a point de gars qui courent aussi vite que les Bleus !
    — Eh ! Par not’ bonne Dame, fit un autre, en vérité, y nous ont battus, à nous autres, ces Patauts-là…
    — Comment ça ? demanda une paysanne.
    — Ben, pardi ! Y nous ont battus à la course à pied !
    Et ils éclatèrent tous de rire.
    On continua de boire, de plaisanter, de manger. Et on chantait des couplets de l’hymne qui avait un instant trompé l’ennemi.
    Allons les armées catholiques,
    Le jour de gloëre est arrivé ! (…)
    Aux armes Poitevins ! Formez vos Bataillons !
    Le sang des Bleus abreuve nos sillons…
    À la fin de la soirée, Jean s’approcha d’Antoine dont il avait remarqué la mine taciturne.
    — Viendrez-vous avec nous, la prochaine fois, Monsieur ?
    Le Toulousain leva les yeux.
    — Je le voudrais bien, mon ami…
    Le paysan n’insista pas, mais Antoine crut déceler dans son regard une pointe de satisfaction.
    Le soir même, les dix cavaliers quittèrent la Boissière pour rejoindre leur famille et reprendre leurs travaux champêtres.
     
    Amélie vit que son mari était resté seul, assis sur le perron, à se morfondre.
    — Qu’as-tu donc ? lui demanda-t-elle, en lui caressant les cheveux.
    — Rien, fit le jeune homme.
    — Tu crois que je ne sais pas. Tu as l’impression d’être inutile. Tu ne peux ni te battre ni t’enfuir. Tu vis ici comme en prison. Ai-je tort ?
    Antoine tourna la tête sans répondre.
    — Non, poursuivit Amélie, j’ai raison, j’en suis sûre. Tu as peur de ne plus pouvoir me protéger.
    Il releva la tête et affronta son regard.
    — Quel homme serais-je si je me contentais de regarder les paysans se faire tuer ? Crois-tu que je vais attendre que les Jacobins viennent t’arrêter ?
    — Tu m’as dit toi-même que la lutte serait désespérée, que les royalistes combattraient bientôt à un contre cent, à un contre mille, que les forces de la République étaient inépuisables, et que si nous gagnions aujourd’hui, nous serions vaincus demain. Prendre les armes, cela veut dire que tu mourras, peut-être dans une semaine ou dans un mois, mais tu mourras. Et je ne peux pas l’accepter. Cette seule idée me rend folle. Je préfère tout renier, tout abandonner… Sais-tu ce que pense ? Que je suis un fardeau, que tu n’aurais pas dû m’épouser et que je ne fais que t’entraîner dans le malheur.
    — Je t’interdis de parler ainsi, rétorqua vivement Antoine.
    — Et moi je t’interdis de te faire tuer pour une cause qui n’est pas la tienne.
    — Qui n’est pas la mienne ? répéta-t-il, ébahi. Tu ne comprends donc pas que je n’ai qu’une seule

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