Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
Vom Netzwerk:
ressorti vivant. À l’issue de leur rencontre, Antoine lui avait demandé :
    — Je n’ai jamais su quel avait été ton véritable métier…
    Caboche l’avait alors considéré d’un regard un peu solennel et, quittant pour une fois son masque d’ironie, il avait répondu, les yeux humides :
    — J’étais peintre.
     
    Si Antoine ne s’était pas laissé mourir en rentrant de Vendée, ce fut grâce à une femme, celle qui l’avait si souvent aidé, son ange protecteur, sa seconde mère, Éléonore d’Anville. C’est elle qui l’avait forcé à reprendre ses pinceaux ; c’est elle qui l’avait écouté rabâcher son deuil et l’avait consolé durant des semaines entières ; c’est elle enfin qui, trois ans après la mort d’Amélie, lui avait présenté la fille d’un riche négociant de Paris, Apolline Seignier, une jeune femme intelligente et sensible. Ils s’étaient mariés un an après leur première rencontre. Antoine ne l’aimait pas comme il aimait Amélie, mais il ressentait une profonde affection pour elle ; et la naissance de leurs deux enfants avait resserré leurs liens. Cette absence de passion était une blessure constante pour la jeune femme qui devait supporter en outre le deuil interminable de son mari. Quel trésor de patience n’avait-elle pas déployé ! Mais Apolline espérait toujours que le temps ferait son œuvre et qu’elle obtiendrait, elle aussi, le privilège d’être aimée.
    Après l’avoir involontairement humiliée, Antoine essayait désormais de l’épargner ; mais son silence se révélait plus pénible encore ; il n’existe pas de pire amant que l’amant d’une morte ; nulle trahison, aucun adultère ne sont aussi cruels que ceux-là. La présence occulte dévorait leur couple comme un cancer. Apolline avait songé au divorce, mais ses enfants, bien trop jeunes, ainsi que ses propres espérances, la poussaient encore à attendre.
    Et puis elle avait un autre ennemi dont l’histoire était liée à sa première rivale, et cet ennemi mortel, c’étaient la vengeance et la haine. Car le temps ne les avait pas effacées du cœur d’Antoine. Pendant dix ans, il avait tout tenté pour retrouver la trace de Virlojeux. De retour à Paris, il avait commencé par rechercher Gabrielle de Nogaret ; il l’avait découverte folle, à Bicêtre. Elle n’avait rien pu lui apprendre ; Virlojeux, qu’elle admirait envers et contre tout, lui avait pris jusqu’au peu de raison qui lui restait encore.
    Antoine avait mené son enquête auprès de toutes les personnes qui avaient pu approcher l’imposteur. Il avait retrouvé l’imprimeur du Fanal de la Liberté , qui était parti se réfugier dans sa Normandie natale, au cours de la Grande Terreur ; mais l’homme, de bonne foi, avait été victime, lui aussi, du criminel aux cent visages. Chauvet, le secrétaire de Virlojeux, ce Jacobin ultra dont le faussaire s’était servi, avait été exécuté par les Thermidoriens avec quelques autres agitateurs robespierristes. Antoine l’ignorait, mais Virlojeux avait lui-même dénoncé son ancien secrétaire pour se composer une physionomie de circonstance et faire oublier ses agissements coupables. Les Thermidoriens, qui cherchaient des boucs émissaires, étaient trop occupés à dissimuler leurs propres crimes. Quant aux deux coquins qu’Antoine avait vus en compagnie du grand manipulateur, au Cadran Bleu , à la veille du 10 août, il avait oublié leur nom et n’avait donc pu retrouver leur trace. Le procès de Carrier ne lui avait rien appris, si ce n’était quelques détails sordides sur les noyades. Neuville était mort aux Tuileries. Le fil était rompu.
     
    Il rangea son dessin avec précaution dans le tiroir et se leva pour aller rejoindre les invités. En haut des marches du grand escalier qui donnait dans la salle de réception, il inspira fortement comme l’on fait avant de nager dans les profondeurs. Apolline lui adressa de loin un sourire d’encouragement. Encore une fois, elle tentait de dissimuler ses blessures. Antoine lui répondit de la même manière, avec un sourire franc. La générosité de sa femme le soulageait. Elle le forçait à changer, à s’extraire de son emplâtre. Il se détendit. Il songea aux bons moments qu’ils avaient passés ensemble. Car, depuis cinq ans, Antoine n’avait pas fait que se morfondre. Il aimait se promener et se divertir avec Apolline. Ils allaient souvent applaudir Talma au théâtre

Weitere Kostenlose Bücher