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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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d’une provinciale de dix-huit ans. Elle resterait bouche bée devant les chefs-d’œuvre du palais et admirerait ce jeune homme qui maniait aussi bien le pinceau que l’épée. Antoine prendrait un air entendu, mais sans morgue. Il trouverait le ton adéquat, l’équilibre entre l’indifférence et la servilité. Il ignorait qu’il était si difficile de faire la conquête d’une femme. Il n’y pensait pas d’habitude, les filles venaient à lui et il ne faisait que céder à ses propres désirs… Il réfléchit encore. Et les boulevards ? Sous aucun prétexte, ils ne devaient manquer de s’y promener ! Il y aurait tant de choses à voir pendant ces quelques heures trop longues à meubler et si courtes à vivre. Il révisa son emploi du temps près de dix fois puis s’endormit, exténué, un peu avant l’aube.
     
    À midi sonnant, il se présenta devant l’hôtel de Nogaret. L’accueil de Gabrielle fut glacial et tout indiquait qu’elle se faisait violence pour le recevoir. Les grimaces et les paroles sucrées de cette femme n’avaient d’autre mobile que de plaire à Virlojeux. Antoine n’éprouva aucun sentiment de culpabilité. Bien au contraire, il sentit monter en lui une profonde colère contre cette veuve qui l’accablait de sa rancune. Il vacilla pourtant assez rapidement. Il ne parvenait pas à se débarrasser de ses doutes. Cette créature envieuse, cet oiseau de mauvais augure, avait peut-être raison après tout, la noblesse d’Amélie incarnait un bonheur inaccessible. Gabrielle devenait en quelque sorte complice du peu d’estime qu’Antoine avait pour lui-même. Les hommes se croient parfois les victimes d’êtres pervers dont ils se font en réalité les comparses.
    Mais la colère l’emporta finalement sur le doute. Amélie lui communiquait sa fraîcheur et sa vitalité. Il l’accompagna jusqu’à la voiture. Ils semblaient aussi timides l’un que l’autre, bien plus encore que le jour de leur dernière rencontre, car, pour la première fois, ils se retrouvaient seuls, sans truchement ni duègne. À cette époque, et dans leur milieu, c’était un véritable privilège.
    — Aimeriez-vous goûter quelques friandises, demanda Antoine alors que la voiture traversait la Seine.
    — J’en serais ravie.
    — Cocher ! Aux Lombards ! cria le Toulousain comme s’il dirigeait une colonne de cavalerie
    Amélie s’apprêtait à vivre intensément cette journée, tout l’indiquait, ses pupilles scintillantes, sa mine radieuse, sa manière de dévorer chaque nouveauté du regard. Elle avait encore l’âge où l’on s’abandonne sans la moindre réserve. Antoine en retira un plaisir immense, mais aussi un sentiment de responsabilité pesant. Une voix intérieure lui répétait qu’il ne devait pas la décevoir. Elle était autant embarrassée que lui, mais il ne le vit pas.
    Ils descendirent de voiture. Amélie considéra les vitrines des confiseurs avec la mine émerveillée d’une enfant. C’était ici que les parrains faisaient provision de douceurs pour les baptêmes. Jeunes ou vieilles, marquises ou grisettes, toutes les femmes en raffolaient.
    — Où irons-nous, demanda-t-elle d’une voix gourmande ? Au Fidèle Berger , au Galant Parrain , à moins que vous ne préfériez les Belles Angéliques  ?
    — Et pourquoi pas dans les trois ? s’amusa Antoine.
    Ils se décidèrent pour le Fidèle Berger que l’on voyait sur l’enseigne brandir fièrement sa houlette. Amélie ferma les yeux pour mieux savourer l’instant. La flamme jaune d’un quinquet éclairait la salle qui embaumait le parfum des pommes à sucre, du chocolat pur caraque, de la praline à peine rissolée et des pistaches grillées. La tiédeur, le calme, le léger bruissement des dragées, que les doigts effilés des vendeuses remuaient dans les bocaux, chaque détail contribuait à donner à ce lieu une impression de sérénité. Une jeune fille, enrubannée de rose, les servit dans de longs cornets de papier doré. Elle adressa au peintre un sourire appuyé qui attira aussitôt l’attention d’Amélie. Antoine était comblé.
    — Si vous saviez comme j’aime Paris, dit Amélie après avoir croqué quelques pralines. Ici personne ne nous surveille, personne ne demande si nous sommes frère et sœur, mari et femme (elle rougit un peu en prononçant ces derniers mots). Nous n’avons personne à qui rendre des comptes, pas de voisins bavards, ni curés qui nous menaceraient des flammes

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