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Des hommes illustres

Des hommes illustres

Titel: Des hommes illustres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Rouaud
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cure de désintoxication, au Pont-de-Pitié, et qui se tiennent à côté de lui,
main dans la main, sur la photo-souvenir réunissant ces nouveaux
quadragénaires, paraissant plus que leur âge, bien sûr – les années de misère
comptent double –, mais radieux, André seigneurial en homme responsable,
chemise à carreaux et cheveux en bataille, Odette tout sourire avec sa
coquetterie dans l’œil, découvrant sa dentition incomplète et portant autour du
cou, sur sa robe de jersey dont l’arrondi approximatif sous le genou dit bien
la fatigue, ce qui doit être sa seule parure, sa croix de communion sans doute,
parce que pour un tel événement même les plus pauvres ne regardent pas à la
dépense, fiers tous deux de cette considération du grand Joseph, sous sa
protection, reconnus, adoptés – de la famille, en somme ! Lui, une tête
au-dessus, a le col de sa chemise ouvert, ce qui lui donne un air détendu, le
même sourire que vingt-quatre ans plus tôt, quoique moins retenu, comme s’il
avait décidé que sa place était ici, parmi ceux-là – et d’ailleurs il réfléchit
à cette proposition du directeur du petit hôpital de Random qui, atteint
bientôt par la limite d’âge, lui offre de prendre sa suite –, un de ses
derniers sourires que n’altère pas la souffrance.
    Après la mousse au chocolat, nous remontâmes dans la Dyna et
prîmes la direction de Malestroit, où nous déambulâmes entre les vieilles
maisons gothiques et Renaissance à pans de bois, aux façades ornées de
sculptures grotesques et d’un curieux pélican, comme dans cette bande dessinée
qui fait nos délices, avant de nous arrêter dans la communauté des sœurs pour
admirer le petit Jésus tel qu’il apparut à une novice en extase : rose,
sommairement langé, des boucles alexandrines sur le front. Allongé sur sa
paille d’or, il ouvre les bras comme Sa Sainteté le pape et tient la tête
relevée, ce qui demande un effort violent de la nuque et des abdominaux dont seuls
semblent capables les bébés promis à un grand destin. A l’accueil, nous
achetâmes une carte postale que papa au retour offrit à sa pieuse tante, notre
universelle tante Marie, qui s’empressa de glisser l’image chérie dans un de
ses innombrables livres de prières. Peut-être prévenait-il les reproches
qu’elle ne manqua pas de lui faire en découvrant ce que nous rapportions, ce
qui avait en fait motivé notre voyage : notre butin.
    Nous avions repris la route à travers le dédale de la
campagne bretonne. Les puissants bulldozers « en ce repos dominical »
soufflaient près d’un talus renversé, la pelle à terre, leur masse rouge
découpant dans le vert sombre du paysage d’inquiétantes saignées. Le ciel était
couvert, il pleuvotait. A travers le battement des essuie-glace, le pilote
désigna du doigt la flèche d’une chapelle qui émergeait de la palette citron
d’un champ de colza. Le vacarme du moteur rendait les explications superflues,
mais à une certaine insistance du geste nous comprîmes que nous touchions au but.
    La flèche de granit surmontait une tour massive séparée de
la chapelle, laquelle reposait en creux dans un amphithéâtre de verdure, si
bien qu’à son approche on pouvait la croire à demi enterrée, victime de sa
masse ou d’un effondrement de terrain, ce qui accentuait, ce raccourcissement
des murs, son côté reliquaire, boîte à ossements précieux. La petite route,
qu’annexaient les poules d’une ferme voisine, passait à hauteur des vitraux. En
prenant son élan, d’un saut un peu risqué, on aurait pu atteindre la corniche
et l’ange souriant coiffé d’un bibi de mousse verte qui semblait s’être réfugié
sur le toit en prévision d’un enlisement définitif. Nous descendîmes l’escalier
de pierre qui menait à la chapelle. L’entrée en était gardée par une fontaine
dont le trop-plein se déversait dans trois piscines disposées comme les
alvéoles d’un as de trèfle. Dans une boîte de conserve rouillée, un bouquet de
fleurs des champs achevait de faner. Au lieu de pénétrer sous le porche, nous
contournâmes l’édifice par la sente étroite engoncée entre le mur et le remblai
de la route, jusqu’au chevet dont la base était envahie par des massifs
d’hortensias. Celui qui nous avait conduit jusque là nous demanda d’écarter les
grosses fleurs bleues. Maman nous mit en garde, vous allez vous mouiller, et
devant notre hésitation, Joseph, tu vas te

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