Des Jours sans Fin
à l’endroit du travail, on entre dans un nuage phosphorescent. La lumière des projecteurs n’arrive pas à traverser et les aspirateurs sont impuissants à absorber la poussière. On se trouve, sans l’avoir vu, au pied d’une perforatrice qui ressemble à une monstrueuse pièce d’artillerie. Vingt hommes travaillent là à percer la montagne, dans ce brouillard, fouettés par le courant d’air, assourdis par le vacarme. Placés sur des échafaudages, le marteau-piqueur à la main, ils creusent des trous dans le roc. Entièrement recouverts d’une poudre blanche, on dirait des statues de pierres convulsées par la trépidation des machines.
— Quand les trous ont une profondeur de 2 mètres, on les bourre de dynamite. Les hommes sortent du tunnel pour quelques minutes. On retire les machines. Une explosion sourde ébranle la montagne, et l’on recommence à percer pendant que l’autre moitié de l’équipe déblaye à la hâte l’éboulement qui vient de se produire.
— C’est en voyant ces hommes, c’est en voyant le Steinbruck, que j’ai compris comment les esclaves de l’antiquité ont pu, au temps jadis, construire les pyramides d’Égypte.
— Le lxxxix travail à la mine était abrutissant. Les civils allemands frappaient, les kapos frappaient, les S.S. également. Et pendant une dizaine de jours, j’ai travaillé à l’extérieur sous la pluie. Le retour de la mine au camp était une lutte pour avoir les bonnes places, en tête du convoi de façon à ne pas avoir à porter les défaillants qui ne pouvaient plus se traîner. J’ai vu des pauvres types sur la place d’appel d’Ebensee abandonnés là par ceux qui les amenaient, parce qu’ils n’appartenaient pas au même block. Les kapos poursuivaient quelquefois ceux qui lâchaient leurs camarades, mais en définitive, ils étaient obligés de prendre d’autres corvées pour ramener les épuisés. Les informations sérieuses étaient contrôlées par la Schreiberstube et ce qui venait d’elle était, en général, officiel. Les civils, dans la mine, nous apportaient des bobards énormes et la plupart du temps c’était nous qui leur donnions de bonnes informations. Toutes les informations arrivaient avec un mois, quelquefois deux, d’avance. Voilà le genre de bobards que nous connaissions. Je me suis fait l’écho d’informations optimistes qui arrivaient de l’extérieur, mais la lecture des communiqués nous expliquait que nous nous étions trompés. Il faut dire qu’un scepticisme général existait dans les derniers mois. Nous tirions des conclusions de petits faits comme celui-ci. Le train Cologne-Vienne passait à côté de notre chantier et, selon qu’il portait des chars, des armements ou plus ou moins d’évacués, nous pensions que la bataille était chez nous et que cela se précipitait. Nous avions une déformation optimiste au début, mais quand nous avons vu, pendant des mois, les trains passer avec des évacués, qui revenaient dans la direction de Vienne, avec leurs charrettes, ou ces trains portant des armements, nous nous sommes habitués à ce spectacle. Les civils, qui travaillaient avec nous, avaient rarement des journaux. Ils ne pouvaient s’en procurer qu’en allant à Vienne. C’est à ce moment-là qu’ils avaient des informations. Les prisonniers de guerre ne recevaient pas les journaux qu’ils recevaient dans les autres kommandos. J’ai toujours été étonné de leur patience et de leur pessimisme qui était, en réalité, une vue juste du rythme de la guerre.
— L’arrivée xc des premiers Français à Ebensee eut lieu à l’automne 1943. Ils étaient peu nombreux (mais leur nombre augmentera progressivement pour atteindre, au milieu de 1944, un effectif de six cents environ). Déjà, au printemps 1944, une organisation de résistance avait été constituée, inspirée par les communistes. Elle prit rapidement le caractère d’une formation du Front National en y intégrant ou en prenant des contacts avec les différents groupes de Français spontanément rassemblés par affinités sur le plan social, religieux, militaire, etc. Les principaux responsables furent Jean Laffïtte, Henri Koch (dit père Henri), Jean Malonie, Roger Gouffault, Henri Souque et Robert Simon. La structure de l’organisation se fit sous la forme de petits groupes de trois à cinq, nombres constitués sur la base d’un même kommando de travail ou d’un même service. Là, comme partout ailleurs, les
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