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Des souris et des hommes

Des souris et des hommes

Titel: Des souris et des hommes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: John Steinbeck
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tu crois qu'il faudra de temps avant que je puisse caresser ces petits
chiens ?
    Crooks se
remit à rire :
    — On
peut te parler, on est sûr que t’iras pas répéter ce qu'on t'a dit. Dans une
quinzaine, ces petits chiens seront assez grands. George sait ce qu'il raconte.
Il parle, et toi, tu n' comprends pas un mot.
    Il se
pencha, très animé :
    — C'est
pas autre chose qu'un nègre qui parle, et un nègre qu’a le dos cassé. Par
conséquent, ça ne veut rien dire, tu comprends ? De toute façon, tu te
rappellerais pas. C'est pas une fois que j'ai vu ça, mais mille... un type qui
parle avec un autre, et puis, ça n'a pas d'importance s'il n'entend pas ou s'il
ne comprend pas. L'important c'est de parler, ou bien de rester tranquille,
sans parler. Peu importe, peu importe.
    Son
agitation avait augmenté, et maintenant, il se martelait le genou avec sa main.
    — George
peut te dire un tas de conneries, et ça n'a pas d'importance. Ce qui compte,
c'est parler. C'est être avec un autre. Voilà tout.
    Il
s'arrêta.
    Sa voix se
fit douce, persuasive.
    — Suppose
que George ne revienne pas. Suppose qu'il foute le camp et qu'il n' revienne
pas. Qu'est-ce que tu ferais ?
    Lennie,
peu à peu, faisait attention à ce que l'autre lui disait :
    — Quoi ?
dit-il.
    — Je
dis, suppose que George est allé en ville ce soir et que t’entendes plus jamais
parler de lui.
    Crooks
poussait une sorte de victoire personnelle.
    — Imagine
ça, simplement.
    — Il
ne fera pas ça, s'écria Lennie. George ne ferait pas une chose pareille. Y a
longtemps que je vis avec George. Il reviendra cette nuit...
    Mais le
doute était trop fort pour lui.
    — Tu
n' crois pas qu'il reviendra ?
    Le visage
de Crooks s'illuminait au plaisir qu'il éprouvait à torturer :
    — On
n' peut jamais savoir ce qu'un type peut faire, observa-t-il calmement.
Disons qu'il veuille revenir et qu'il ne puisse pas. Suppose qu'il soit tué, ou
blessé, et qu'il ne puisse pas revenir.
    Lennie
s'efforçait de comprendre.
    — George
ne ferait pas une chose pareille, répéta-t-il. George est prudent. Il s' fera
pas blesser. Il ne s'est jamais blessé, parce qu'il est prudent.
    — Enfin,
une supposition, une supposition qu'il n' revienne pas, qu'est-ce que tu
ferais ?
    Le visage
de Lennie se contracta sous l'appréhension.
    — J’sais
pas. Et puis, au fait, qu'est-ce que t’as dans l'idée ? s'écria-t-il. Ce
n'est pas vrai. George n'est pas blessé.
    Crooks
insistait.
    — Tu
veux que je te dise ce qui arriverait ? On t'emmènerait à l'asile des
dingos. Et là, on t'attacherait avec un collier, comme un chien.
    Soudain,
les yeux de Lennie se fixèrent avec une expression de rage froide. Il se leva
et s'approcha dangereusement de Crooks.
    — Qui
est-ce qui a fait du mal à George ? demanda-t-il.
    Crooks vit
s'approcher le danger. Il se recula sur son lit pour se garer.
    — Je
supposais, simplement, dit-il. George n'a pas de mal. Il va très bien. Il va
revenir, bien sûr.
    Lennie
était au-dessus de lui.
    — Pourquoi
que tu supposais ? J’veux pas que personne suppose que George puisse avoir
du mal.
    Crooks enleva
ses lunettes et s'essuya les yeux avec ses doigts.
    — Assois-toi,
dit-il. George n'a pas de mal.
    Lennie
retourna s'asseoir sur son baril, en grondant.
    — J’veux
pas qu'on parle de faire du mal à George, grommela-t-il.
    Crooks dit
doucement :
    — Maintenant,
tu comprendras peut-être. Toi, t’as George. Tu sais qu'il va revenir. Suppose que t’aies personne. Suppose que
tu n' puisses pas aller dans une chambre jouer aux cartes parce que t’es
un nègre ? Suppose que tu sois obligé de rester assis ici, à lire des
livres. Bien sûr, tu pourrais jouer avec des fers à cheval jusqu'à la nuit,
mais après, faudrait que tu rentres lire tes livres. Les livres, c'est bon à
rien. Ce qu'il faut à un homme, c'est quelqu'un... quelqu'un près de lui.
    — George
va revenir, dit Lennie d'une voix effrayée, pour se rassurer. Peut-être bien
que George est déjà revenu. Je ferais peut-être mieux d'aller voir.
    Crooks dit :
    — J’voulais
pas te faire peur. Il reviendra. C'est de moi que je parlais. Imagine un type
ici, tout seul, la nuit, à lire des livres peut-être bien, ou à penser, ou
quelque chose comme ça. Des fois, il se met à penser et il n'a personne pour
lui dire si c'est comme ça ou si c'est pas comme ça. Peut-être que s'il voit
quelque chose, il n' sait pas si c'est

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