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Dieu et nous seuls pouvons

Dieu et nous seuls pouvons

Titel: Dieu et nous seuls pouvons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Folco
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cents
deniers ou cent quinze mille deux cents oboles… La somme était si considérable
que Justinien eut peine à y croire. Il ne répondit pas.
    Enfin ils débouchèrent sur la place
où trônait le formidable échafaud de Maître Calzins. Le baron et tous ses
prestigieux invités étaient installés au balcon de l’hôtel de la prévôté
richement décoré aux armes des Boutefeux et du comte-évêque de Rodez.
    Des serviteurs en livrée circulaient
parmi eux, proposant des rafraîchissements, des gâteaux à l’anis, des
tartelettes au fromage de brebis parfumées à la fleur d’oranger, des coupes de
fraises de la forêt des Ribaudins marinant dans du vin de Bordeaux (pourtant
interdit à la vente dans la baronnie). A leurs pieds, et cela depuis tôt le
matin, une foule considérable mangeait, buvait, riait, chantait, louait des
bancs pour mieux voir.
    Les pénitents se regroupèrent non
loin de l’échafaud tandis que le capitaine et ses miliciens s’écartaient pour
laisser passer l’exécuteur, le condamné, le miséricordieux et son grand
crucifix, au pied du bel escalier en chêne de Provence.
    Justinien, qui transpirait sous son
pourpoint, entendit le frère exhorter Galine qui ne lui demandait rien.
    — Sois brave, mon fils, car il
va te falloir boire ce calice ô combien amer avec le même courage que Notre
Seigneur Jésus-Christ a bu le sien sur la croix ! Et pourtant il était aussi
innocent que tu es coupable.
    — Laissez-nous maintenant, mon
frère, écartez-vous, lui dit Justinien en l’empêchant de les suivre sur
l’escalier.
    L’apparition de Pierre Galine sur la
plate-forme déclencha un bruyant tumulte.
    — Enfer ! Enfer !
Enfer pour le monstre !
    Celle de Justinien et de sa barre
ramena le silence. On entendit une voix offrir « un liard le tabouret pour
mieux zieuter le monstre ». Tout se gâta lorsqu’il voulut délier Galine
pour qu’il puisse se coucher sur la croix en X. Les nœuds étaient trop serrés,
il ne put en venir à bout.
    — Dix louis si tu me tues vite.
Ma famille te les baillera aussitôt après, répéta le cuisinier en baissant la
tête pour qu’on ne distingue pas le mouvement de ses lèvres.
    Après s’être brisé douloureusement
plusieurs ongles sans résultat, Justinien lança un regard traqué autour de lui.
Il vit le capitaine, toujours sur son cheval à une dizaine de toises. Justinien
s’approcha du bord de l’échafaud et l’interpella :
    — Monsieur le Capitaine, je
vous prie ! Prêtez-moi votre main gauche.
    Contrarié d’être à son tour le point
de mire général, l’officier n’osa refuser. Il avança vers l’échafaud et se
dressa sur ses étriers pour tendre son poignard.
    — J’ai laissé le mien au
cachot, expliqua Justinien en le remerciant du regard.
    Il tranchait les nœuds récalcitrants
quand Galine renouvela sa proposition.
    — Dix louis d’or. Songe à tout
ce que tu peux faire avec tant d’or ! C’est mon père qui te les baillera
tout à l’heure. Il te regarde en ce moment…
    Feignant la surdité, Justinien le
poussa sans brutalité vers la croix en lui ordonnant de s’allonger dessus.
    Docilement, Galine se coucha dans le
prolongement des solives ajustées en « X », une position qui lui
laissait la nuque dans le vide.
    Son jeune exécuteur le ligotait à
nouveau quand il insista :
    — Brise mon cou maintenant et
dans moins d’une heure tu es riche. Tu pourras même te faire faire un nez en or
fin.
    Sentant peser le poids de centaines
de regards sur chacun de ses gestes, Justinien se concentra sur son ligotage.
Quand Galine fut solidement amarré, il se redressa et essuya son front en
sueur. Pour être plus libre dans ses mouvements, il ôta son pourpoint qu’il
plia avec soin à côté du poignard et des garcettes de rechange. Il enfila
ensuite ses gants et ramassa la lourde barre. La foule retint son souffle. Tous
entendirent les craquements du plancher sous ses bottes quand il se plaça dos
au soleil afin de ne pas être aveuglé.
    Le moment était venu. « Pense à
celui qui t’a coupé le nez », avait suggéré le Verrou humain, mais comment
imaginer quelqu’un (quelqu’une) qu’il n’avait jamais vu(e) ? Il préféra
songer à Baldo et Vitou, et même un peu à Mouchette.
    Visant l’avant-bras gauche,
Justinien cogna comme on cogne sur du bois pour le fendre. Avec un bruit sourd
et mat la barre brisa le radius et le cubitus, rebondissant contre la solive,
retournant

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