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Dieu et nous seuls pouvons

Dieu et nous seuls pouvons

Titel: Dieu et nous seuls pouvons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Folco
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d’excentricités. Pensez à Saturnin qui ira à l’école cette année.
    — J’y songe, ne t’inquiète pas,
mais je n’oublie pas pour autant Henri, Adèle, Antoine et Berthe. As-tu déjà
oublié ce qu’ils leur ont fait subir ? Et la ronceraie, Léon ? Te
souviens-tu de la ronceraie et de ce que nous avons dû faire ?
     
    *
     
    Le procès des chauffeurs de
l’Aveyron dura huit mois. Thomas Lerecoux, Raflette, Guez le Nîmois et Marius
furent condamnés à la peine capitale. Leurs avocats prirent le train de Paris
et demandèrent leur grâce au président Loubet qui la refusa. La date du
châtiment fut fixée. Un agent de police fut dépêché à Auteuil où vivait Anatole
Deibler et lui remit son ordre de mission pour une quadruple exécution dans le
département de l’Aveyron.
    Anatole sourit.
    — C’est pour où ? demanda
Louis, son père, qui avait reconnu de son fauteuil le formulaire rose.
    — Pour Bellerocaille. Les
chauffeurs de l’Aveyron, une quadruple.
    Le visage fané du vieux bourreau à
la retraite s’éclaira.
    — Tu feras mes amitiés au
Septième et à Casimir. Et si tu as le temps, demande-lui qu’il te montre sa
Louison, sa « mécanique », comme il l’appelle, c’est une merveille.
     
    *
     
    Les bras croisés au-dessus de son
lefaucheux, coiffé de son haut-de-forme démodé, les cheveux et la barbe
fraîchement teints, Hippolyte suivait avec intérêt l’entrée de la locomotive
dans la gare neuve de Bellerocaille. A ses côtés, son darne à double canon en
bandoulière, chaussé de bottes montantes, Casimir faisait de même, fasciné par
le spectacle de cette machine qui, disait-on, faisait tourner le lait des
vaches dans leurs pis.
    Bien que le quai fût comble, un vide
« naturel » s’était formé autour d’eux, les isolant des autres.
    Dans un vacarme de crissements de
freins et de sifflements de jets de vapeur, le train s’immobilisa. Les
voyageurs descendirent. Une grande animation s’ensuivit. Peu à peu la gare se
vida et bientôt il ne resta plus qu’Hippolyte et Casimir qui n’avaient pas
bougé d’un cil. Alors une portière des première classe s’ouvrit sur un homme
d’une quarantaine d’années, bien vêtu, trapu, le visage aimable agrémenté d’une
fine moustache et d’une barbiche rousse, qui en descendit. Il portait un
haut-de-forme sans reflet et était suivi de quatre hommes coiffés de melons.
    — Les voilà, dit Hippolyte en
allant à leur rencontre, un sourire de bienvenue aux lèvres.
    Sa dernière rencontre avec Anatole
Deibler datait de l’Exposition universelle, l’année précédente.
    Les bonnes relations entre les exécuteurs
rouergats et leurs homologues parisiens remontaient à l’an 1689, date du
premier voyage de Justinien Premier dans la capitale. Il s’était lié d’amitié
avec Charles Sanson, premier de sa lignée lui aussi, et comme lui contraint par
les circonstances à son état de bourreau. Quand le dernier des Sanson, Henri
Clément VI, fut révoqué en 1847 pour avoir laissé sa guillotine de service
en gage d’une dette de jeu, les Pibrac n’en continuèrent pas moins d’entretenir
d’étroites relations avec ses successeurs. Il y eut André Ferey, un Normand de
soixante-deux ans, chef exécuteur de Rouen, qui fut lui aussi révoqué pour
faute professionnelle grave. Il était au théâtre alors qu’on le cherchait
partout pour lui remettre l’ordre d’une quintuple exécution. Elle dut être
reportée, ce qui provoqua un beau tollé. Jean-François Heidenreich,
qu’Hippolyte avait fort bien connu, lui succéda. Heidenreich coupa cent
quatre-vingt-deux têtes avant de mourir, laissant la place à son aide, Nicolas
Roch, qui, lui, n’en coupa que quatre-vingt-deux avant d’être frappé
d’apoplexie. Louis Deibler, son adjoint de première classe, descendant d’une
longue lignée de bourreaux écorcheurs du Wurtemberg, fut nommé.
    Après un bilan de cent
cinquante-quatre têtes en dix-neuf ans, Louis, sentant sa santé décliner, avait
passé la main à son fils Anatole, son adjoint depuis déjà dix ans.
    — Comment va ton père ?
demanda Hippolyte après qu’ils se furent tous serré la main avec chaleur.
    — Couci-couça, répondit
Anatole. Mais quand il a su que je venais couper ici, il voulait m’accompagner.
Rosalie a dû appeler son médecin pour qu’il le lui interdise.
    Le chef de gare interrompit leurs
mondanités pour demander ce qu’il devait faire des

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