Dissolution
la
brasserie ou d’autres sujets similaires. Les quelques missives personnelles des
moines à leur famille signalaient que le novice était mort d’une fièvre due au
temps épouvantable qui sévissait. C’était la même explication que celle donnée
par l’abbé dans l’onctueuse lettre officielle adressée aux parents du jeune
infortuné. J’eus un accès de remords en pensant à la mort de Simon.
Nous examinâmes les actes de vente des terres. Les prix
semblaient normaux pour des lopins de terrain agricole et il n’y avait aucune
preuve qu’ils aient été sous-estimés dans le but de se ménager des appuis
politiques. Je vérifierais auprès de Copynger, mais j’eus à nouveau le
sentiment qu’on avait pris grand soin de s’assurer que les comptes du monastère
étaient en ordre, à première vue en tout cas. Je passai la main sur le sceau
vermillon appliqué au bas de chaque acte et sur lequel était gravée l’image de
saint Donatien ressuscitant le mort.
« C’est l’abbé lui-même qui doit apposer le sceau sur
chaque document, murmurai-je.
— Quiconque le ferait à sa place se rendrait coupable de
faux, fit observer Mark.
— Tu te rappelles que nous avons vu le sceau sur son
bureau le jour de notre arrivée ? Il serait plus en sécurité dans un
endroit fermé à clef, mais j’imagine qu’il aime le montrer, comme symbole de
son autorité. « Vanité, vanité, tout n’est que vanité ! » dis-je
en m’étirant. Je ne pense pas aller dîner au réfectoire ce soir. Je suis trop
fatigué. Tu peux demander quelque chose à l’infirmier, si tu le désires. Tu
pourrais m’apporter du pain et du fromage.
— D’accord. » Il quitta la pièce
et je restai assis, absorbé dans mes réflexions. Depuis notre discussion à l’auberge,
je percevais désormais une réserve, une distance dans la voix de Mark. Tôt ou
tard il faudrait que je soulève derechef la question de son avenir. Je me sentais
obligé de ne pas le laisser gâcher sa carrière. Obligé non seulement dans son
propre intérêt, mais aussi vis-à-vis de son père et du mien.
**
Dix minutes plus tard, il n’était toujours pas revenu et je
commençais à m’impatienter. J’avais plus faim que je ne l’avais cru. Je me
levai et partis à sa recherche. Je vis par la porte entrouverte qu’une lumière
brillait dans la cuisine de l’infirmier et j’entendis aussi un bruit doux et
confus. Des pleurs de femme.
J’ouvris la porte toute grande. Alice était assise devant la
table, la tête dans les mains. Ses épais cheveux bruns étaient épars et
cachaient son visage. Elle pleurait doucement, émettant une sorte de mélopée
mélancolique. M’entendant, elle releva la tête. Son visage était marqué de
taches violacées et ses traits boursouflés avaient perdu leur régularité. Elle
se leva à demi, s’essuyant le visage sur sa manche, mais je lui fis signe de
demeurer assise.
« Non, non, ne bougez pas, Alice ! Dites-moi donc
ce qui vous fait souffrir à ce point.
— Ce n’est rien, monsieur. » Elle toussa pour
cacher un tressaillement de sa voix.
« Quelqu’un vous a-t-il blessée ? Dites-moi qui c’est.
Le frère Edwig ?
— Non, monsieur. » Elle me regarda d’un air
perplexe. « Pourquoi serait-ce lui ? »
Je lui parlai de mon entretien avec l’économe, comment il
avait deviné d’où je tenais mes renseignements. « Mais n’ayez crainte, Alice,
je lui ai précisé que vous étiez sous ma protection personnelle.
— Ce n’est pas cela, monsieur. C’est juste que… (elle
baissa la tête)… je me sens si seule, monsieur. Je suis seule au monde. Vous ne
pouvez comprendre ce sentiment.
— Je crois pouvoir le comprendre. Voilà des années que
je n’ai pas vu ma famille. Elle vit loin de Londres. Je n’ai que maître Poer
chez moi. Je sais que j’occupe une certaine position dans le monde, mais moi
aussi je peux me sentir seul. Oui, seul. » Je lui fis un triste sourire.
« Mais vous n’avez absolument aucune famille ? Pas d’ami à Scarnsea à
qui vous rendiez visite ? »
Elle fronça les sourcils, jouant avec un fil détaché de sa
manche.
« Ma mère était la dernière de la famille. Les Fewterer
n’étaient pas très bien vus en ville. Les guérisseuses sont toujours tenues un
peu à l’écart. » Son ton se fit amer. « Les gens viennent consulter
des femmes comme ma mère ou ma grand-mère pour qu’elles les aident à soulager
leurs maux mais ils
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