Dissolution

des
miséreux et de l’édification de la communauté chrétienne, vous ne tenez pas en
grande estime les gens du peuple !
    — Il doit exister une hiérarchie dans la société. Tout
le monde ne se trouve pas sur le même échelon et Dieu n’a jamais voulu qu’il en
soit autrement.
    — L’abbé serait d’accord avec vous là-dessus. Ainsi que
le juge Copynger.
    — Mordieu ! tu vas trop loin ! »
hurlai-je. Il me fit face sans mot dire, se retirant derrière son agaçant
masque d’impassibilité. J’agitai un doigt sous son nez.
    « Écoute-moi ! J’ai quelque peu gagné la confiance
du frère Guy. Il m’a informé de ce qui était arrivé à Simon Whelplay. Crois-tu
qu’il aurait agi ainsi si c’était lui qui était tombé sur la scène à laquelle
je viens d’assister ? Alors que cette fille est sous sa protection ? Eh
bien ? »
    Il continua à se taire.
    « Plus de badinage avec Alice. Tu entends ? C’est
fini. Et je te demande de penser très sérieusement à ton avenir.
    — Oui, monsieur », bougonna-t-il. Pour un peu j’aurais
giflé son visage inexpressif.
    « Enfile ton manteau ! Nous allons explorer l’étang.
Nous pourrons fouiller les chapelles sur le chemin du retour.
    — Autant chercher une aiguille dans une meule de foin, fit-il
d’une voix morne. Les objets ont peut-être été enterrés.
    — Ça ne nous prendra qu’une heure environ. Allons, viens !
Et tu as intérêt à préparer ton corps à la caresse glaciale de l’eau, ajoutai-je
perfidement. Ce sera bien plus froid que les bras de cette donzelle. »
    **
    Nous marchâmes en silence. J’étais fou de colère. Contre Mark,
à cause de sa désinvolture et de son insolence, mais aussi contre moi, car ce
qu’il avait dit de ma jalousie était vrai. Le voir tenir Alice dans ses bras
alors qu’elle avait fui mon étreinte m’avait transpercé le cœur. Je lui jetai
un regard de biais. D’abord Jérôme et maintenant Alice. Comment ce garçon têtu
et voluptueux me donnait-il toujours le sentiment que j’avais tort ?
    Au moment où nous passions devant l’église, les frères y
entraient à nouveau, deux par deux. Simon était maintenant enterré dans le
cimetière des moines mais, de toute évidence, on allait célébrer un autre
office pour lui, alors qu’il n’y en avait eu aucun pour Singleton. Je réfléchis
avec amertume que Simon aurait été reconnaissant de jouir du dixième des dons
et privilèges que Dieu avait prodigués à Mark. Les derniers moines entrèrent
dans le bâtiment, le portail se referma en claquant et nous continuâmes à
avancer en direction du cimetière laïque, au-delà des dépendances.
    Mark s’arrêta brusquement.
    « Regardez ! s’écria-t-il. Comme c’est étrange… »
Il indiquait la tombe de Singleton, la terre brune se détachant sur la neige. La
récente chute de neige avait ajouté un nouveau saupoudrage tout autour mais pas
sur la tombe.
    Nous nous dirigeâmes vers elle et je poussai un cri de rage. La
tombe était recouverte d’un liquide visqueux luisant dans le pâle soleil. Je me
penchai pour l’effleurer et portai mon doigt à mes narines.
    « Du savon ! m’exclamai-je avec colère. On a
recouvert la tombe de savon. Pour empêcher l’herbe de repousser. Il a fait
fondre la neige.
    — Mais pourquoi ?
    — Tu ne connais pas la légende selon laquelle l’herbe ne
croît pas sur la tombe des pécheurs ? Une femme avait été pendue pour
infanticide quand j’étais gamin. La famille de son mari allait en catimini
enduire de savon la tombe afin que rien ne pousse dessus. Exactement comme cela.
Quelle atroce vilenie !
    — Qui a pu faire ça ?
    — Comment le saurais-je ? rétorquai-je sèchement. Morbleu !
je vais ordonner à l’abbé Fabian de les convoquer tous ici pour effectuer le
nettoyage sous ma surveillance… Non, sous la tienne… Ce sera plus humiliant sous
la tienne. » Je me détournai, très en colère.
    Nous continuâmes notre pénible chemin, traversant le
cimetière et le verger désormais enfouis sous un pied de neige au moins. Le
soleil chatoyait dans le cours d’eau et dans le cercle de l’étang recouvert de
glace.
    Je me frayai un chemin à travers les roseaux gelés. La glace
était maintenant plus épaisse, le bord de l’étang orné d’une mince couche de
neige. Mais en me penchant et en plissant fortement les yeux je pouvais encore
distinguer une pâle lueur vers le milieu.
    « Mark, tu vois cet amas