Dissolution
fois que je suis
venu là, dis-je. Êtes-vous certaine qu’il existe un passage sûr ? Je ne
comprends pas comment on peut apercevoir les repères puisque la neige recouvre
tout. »
Elle tendit le doigt.
« Vous voyez ces massifs de grands roseaux ? Il faut
repérer les bons et les longer à la distance adéquate. Il n’y a pas que des
marais, il y a des zones de terre ferme et les bouquets de roseaux les
signalent comme des poteaux indicateurs. » Elle sortit du sentier et tâta
le terrain. « Il y aura des plaques de glace de temps en temps. Il faudra
prendre garde à ne pas les crever.
— Je sais. C’est ce qui m’est arrivé la dernière fois. »
J’hésitai sur le bord, un sourire contraint sur les lèvres. « Vous tenez
la vie d’un commissaire du roi entre vos mains.
— Je vais être prudente, monsieur. » Elle fit
plusieurs allées et venues sur le sentier, déterminant l’endroit où nous
devions marcher, puis, me recommandant de mettre exactement mes pas dans les
siens, s’engagea dans les marais.
**
Elle avançait prudemment mais d’un pas régulier, s’arrêtant
souvent pour se repérer. J’avoue qu’au début mon cœur cognait dans ma poitrine.
Je regardais en arrière, conscient que l’on s’éloignait de plus en plus de l’enceinte
du monastère et qu’il serait impossible de nous porter secours si l’un de nous
deux s’enfonçait dans le marécage. Mais Alice paraissait sûre d’elle. Parfois, lorsque
je mettais mon pied dans son empreinte le terrain était ferme, mais de temps en
temps de l’eau noire grasse s’infiltrait dans le creux. Comme nous avions l’air
de progresser lentement, je fus surpris lorsque, levant les yeux, je m’aperçus
que nous avions presque atteint la butte et que l’éboulement des pierres de l’édifice
en ruine se trouvait seulement à cent coudées. Elle s’arrêta.
« On est obligés de gravir la butte et de redescendre
jusqu’à la rivière par un autre sentier. C’est plus dangereux de l’autre côté
cependant.
— Bon. Arrivons d’abord jusqu’à la butte. »
Quelques instants plus tard, nous étions sur la terre ferme. La
butte ne s’élevait qu’à quelques pieds au-dessus du niveau du marécage, mais
depuis le sommet on voyait clairement le monastère d’un côté et la rivière, calme
et grise, de l’autre. On apercevait la mer dans le lointain et un vent cinglant
donnait à l’air une saveur saumâtre.
« Par conséquent, c’est par là que les contrebandiers
transportent leur marchandise ?
— Oui, monsieur. Il y a quelques années, les douaniers
de Rye les ont pourchassés par ici mais ils se sont perdus. Deux hommes ont
coulé en quelques secondes et ont disparu de la surface de la terre. » Je
suivis en frémissant son regard sur l’étendue blanche, puis parcourus la butte
des yeux. Elle était plus petite que je ne l’avais cru, les ruines n’étant
guère que des tas de moellons. Bien que dépourvu de toit, l’un des bâtiments
était plus complet que les autres et j’aperçus les restes d’un feu, espace nu
dans la neige couvert de cendres.
« Des gens sont venus ici tout récemment », dis-je
en remuant les cendres. Je fourrageai partout du bout de mon bâton, dans le
vague espoir de trouver la relique ou un coffre plein d’or dissimulé, mais il n’y
avait rien. Alice me fixait en silence.
Je revins vers elle et regardai alentour.
« Les premiers moines n’ont pas dû avoir la vie facile. Pourquoi
sont-ils venus jusque-là ? Pour des raisons de sécurité peut-être.
— On dit que les marais ont peu à peu monté, au fur et à
mesure que l’embouchure de la rivière s’envasait. Peut-être qu’à l’époque ce n’étaient
pas des marais mais juste un site près de la rivière. » Cela ne semblait
pas la passionner.
« Cette scène ferait un surprenant tableau. Je peins, vous
savez, quand j’en ai le temps.
— Les seules peintures que j’ai vues sont celles des
vitraux. Les couleurs sont jolies mais les personnages n’ont jamais vraiment l’air
très naturels.
— C’est parce que les proportions ne sont pas bonnes, qu’il
n’y a ni sens de la distance ni perspective. Mais aujourd’hui, les peintres
cherchent à montrer les choses telles qu’elles sont, à représenter la réalité.
— Vraiment, monsieur ? » Son ton restait froid,
réservé, je nettoyai la neige du rebord d’un mur éboulé et m’assis.
« Alice, j’aimerais avoir un
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