Dissolution
saints.
— Il pouvait ressusciter les morts comme le Christ avec
Lazare ?
— On raconte que Donatien a aperçu le cadavre d’un homme
qu’on transportait jusqu’à sa tombe. Un autre homme vitupérait sa veuve, alléguant
que le défunt lui devait de l’argent. Le bienheureux Donatien a enjoint au mort
de se lever et de régler ses comptes. Celui-ci s’est alors redressé et a
convaincu tous les présents qu’il avait payé sa dette. Puis il s’est allongé, mort
à nouveau. L’argent, l’argent, ces gens ne pensent qu’à ça ! »
On entendit des pas dans le vestibule et la porte s’ouvrit
pour laisser passer un homme grand et fort, âgé d’une cinquantaine d’années. Sous
son habit noir de bénédictin, on apercevait des chausses en velours de laine et
des souliers à boucles d’argent. Son visage carré rubicond était doté d’un nez
aquilin. Il avait de longs cheveux châtains, et sa tonsure, un minuscule rond
rasé, était la plus petite concession possible à la règle de l’ordre. Il s’avança
vers nous, un sourire aux lèvres.
« Je suis l’abbé Fabian. » Ses manières étaient
celles d’un patricien, mais je perçus un soupçon d’inquiétude dans sa belle
voix d’aristocrate. « Bienvenue à Scarnsea. Pax vobiscum.
— Matthew Shardlake, commissaire du vicaire général. »
Je ne répondis pas par la formule consacrée, « Et avec vous », car je
refusais de me laisser entraîner dans ces momeries en latin.
L’abbé hocha lentement la tête. Ses yeux bleus enfoncés
balayèrent de haut en bas mon corps voûté avant de s’écarquiller un tant soit
peu lorsqu’il vit que je tenais le sceau entre mes mains.
« Attention, monsieur, je vous prie… Tous les documents
légaux doivent être marqués de ce sceau. Il ne sort jamais de cette pièce. Si
on veut appliquer strictement la règle, je devrais être le seul à le toucher.
— En tant que commissaire du roi, j’ai accès à tout ce
qui se trouve ici, Votre Seigneurie.
— Bien sûr, monsieur, bien sûr. » Son regard suivit
mes mains tandis que je reposais le sceau sur son bureau. « Vous devez
avoir faim après votre long voyage… Désirez-vous que je commande quelque chose
à manger ?
— Merci. Tout à l’heure.
— Je regrette de vous avoir fait attendre, mais j’avais
affaire avec le régisseur de notre domaine de Ryeover. Les comptes concernant
les moissons sont loin d’être réglés. Un peu de vin, peut-être ?
— Juste une goutte. »
Il m’en versa un peu avant de se tourner vers Mark.
« Puis-je demander qui est ce jeune homme ?
— Mark Poer, mon secrétaire et assistant. »
Il haussa le sourcil.
« Messire Shardlake, nous devons nous entretenir de
graves sujets. Puis-je indiquer qu’il vaudrait mieux que nous restions en tête
à tête ? Le jeune homme peut aller dans le logement que j’ai fait préparer.
— Je ne suis pas d’accord, Votre Seigneurie. C’est le
vicaire général lui-même qui m’a demandé de me faire accompagner par le jeune Poer.
Il restera, sauf si je lui dis de s’en aller. Souhaiteriez-vous maintenant voir
mon ordre de mission ? »
Mark gratifia l’abbé d’un large sourire.
Celui-ci rougit et courba la tête.
« Comme bon vous semblera. »
Je plaçai le document dans sa main couverte de bagues.
« J’ai parlé à messire Goodhaps », dis-je pendant
qu’il rompait le cachet. Ses traits se crispèrent et son nez sembla se
redresser comme si l’odeur de Cromwell émanait du document. Je regardai le
jardin où les serviteurs brûlaient les feuilles. Un filet de fumée blanche
montait dans le ciel gris. La lumière du jour commençait à faiblir.
L’abbé réfléchit quelques instants puis posa l’ordre de
mission sur son bureau. Il se pencha en avant, les doigts noués.
« Ce meurtre est l’événement le plus horrible qui se
soit passé ici. Cela, et la profanation de l’église. J’en suis… tout bouleversé. »
Je hochai la tête.
« Lord Cromwell est bouleversé, lui aussi. Il ne veut
pas que la nouvelle s’ébruite. Vous n’en avez parlé à personne ?
— Nous avons gardé un silence absolu, monsieur. Les
moines et les serviteurs savent que, si une seule allusion à ce sujet traverse
le mur d’enceinte, ils auront affaire aux services du vicaire général.
— Bien. Assurez-vous, je vous prie, que toute
correspondance reçue m’est montrée. Et aucun courrier ne doit sortir d’ici sans
mon
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