Dissolution
cœur la fin de leur vie en ces lieux.
— Les moines n’ont pas été mis au courant de ses
desseins. Ils savent seulement que le commissaire était un émissaire du vicaire
général. J’ai demandé au prieur Mortimus de faire courir le bruit qu’il
existait un litige à propos de l’un des domaines. Sur la demande expresse du
commissaire Singleton. Seuls mes moines de rang supérieur, les obédienciers
principaux, connaissaient le but de sa visite.
— Qui sont-ils exactement ?
— Outre le prieur Mortimus, il y a le frère Gabriel, le
sacristain et maître de chapelle, le frère Edwig, notre économe, ainsi que le
frère Guy. Ce sont les plus anciens, et ils demeurent ici depuis de nombreuses
années, hormis le frère Guy qui nous a rejoints l’année dernière. Depuis le
meurtre, toutes sortes de rumeurs ont circulé sur la cause de la venue du
commissaire, mais j’ai continué à invoquer la contestation du titre de propriété.
— Très bien. Nous allons nous en tenir à ce prétexte
pour le moment. Même s’il est possible que je revienne sur la question de la
soumission. »
L’abbé observa un silence puis reprit, en pesant chacun de
ses mots :
« Malgré les terribles circonstances présentes, monsieur,
je tiens à défendre mes droits. La loi sur la dissolution des maisons de
moindre importance a souligné que l’ordre régnait dans les grands monastères. Il
n’y a aucune base juridique pour exiger la dissolution, sauf si la maison s’est
rendue coupable d’une grave infraction aux injonctions royales, ce qui n’est
pas notre cas. Je ne vois pas pourquoi le vicaire général exigerait la
confiscation de ce monastère. J’ai entendu dire qu’on demande à d’autres de se
soumettre, mais je dois vous déclarer, comme je l’avais indiqué à messire
Singleton, que je me place sous la protection de la loi. » Il s’appuya au
dossier de son siège, le visage empourpré et les dents serrées, acculé mais
prêt à relever le défi.
« Je vois que vous possédez les statuts qui régissent le
pays, dis-je.
— J’ai étudié le droit à Cambridge, il y a bien
longtemps. Vous êtes juriste, monsieur. Vous savez par conséquent que le
respect de la loi constitue la pierre angulaire de la société.
— Soit. Mais les lois changent. De nouvelles lois ont
été votées qui seront suivies par d’autres. »
Il fixa sur moi un regard atone. Il savait aussi bien que moi
qu’il n’y aurait plus de loi sur la dissolution forcée des monastères tant que
des troubles agiteraient le pays.
Je rompis le silence.
« Bon. Maintenant, Votre Seigneurie, je vous serais
reconnaissant de me faire conduire auprès du corps du malheureux Singleton, qui,
comme vous l’avez signalé, aurait déjà dû recevoir une sépulture chrétienne. Je
souhaiterais, d’autre part, que quelqu’un me fasse visiter le monastère, mais
peut-être vaudrait-il mieux attendre demain. La nuit tombe.
— Certainement. Le corps se trouve dans un lieu qui, vous
en conviendrez sans doute, est à la fois sûr et approprié, sous la garde de l’infirmier.
Je vais vous faire conduire jusqu’à lui. Permettez-moi de vous affirmer avec
force que, même si votre mission me paraît impossible, je ferai tout ce qui est
en mon pouvoir pour vous aider.
— Merci.
— J’ai fait préparer en haut l’une des chambres pour les
hôtes de passage.
— Je vous en remercie, mais je crois que je préférerais
me trouver plus près du lieu de l’action. L’infirmerie dispose-t-elle de
chambres pour les visiteurs ?
— Eh bien ! oui… Mais ne serait-il pas plus normal
que le représentant du roi logeât chez l’abbé ?
— L’infirmerie me conviendrait mieux, répliquai-je d’un
ton ferme. Et il me faudra un trousseau de clefs complet pour tous les
bâtiments du monastère. »
Il sourit d’un air incrédule.
« Avez-vous la moindre idée du nombre de portes et de
clefs qu’il y a ici ?
— Oh ! un très grand nombre, à n’en pas douter. Mais
il doit bien y avoir plusieurs trousseaux complets.
— J’en possède un. Tout comme le prieur et le portier. Mais
ils sont constamment utilisés tous les trois.
— Il faudra m’en fournir un, Votre Seigneurie. Faites ce
qu’il faut à cet effet. » Je me levai, réfrénant un cri à cause d’un
brusque élancement dans le dos. Mark me suivit. L’abbé Fabian avait l’air
complètement déconfit lorsqu’il se leva lui aussi et lissa les plis
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