Dissolution
et quitter la table. C’est p-presque l’heure des c-complies. »
Le prieur Mortimus s’étant prestement acquitté de cette tâche,
les moines se levèrent, ceux qui se trouvaient à la longue table attendant que
les obédienciers soient sortis. Comme nous franchissions le seuil, le frère
Edwig se pencha vers moi, et me susurra d’un ton onctueux :
« Messire Shardlake, je suis désolé que votre repas ait
été t-troublé à deux rep-prises. C’est fort reg-grettable. Je vous prie de nous
pardonner.
— Il n’y a pas de mal, mon frère. Plus j’en apprends sur
la vie menée à Scarnsea, plus cela éclaire ma lanterne. Au fait, je vous serais
très reconnaissant de m’accorder un moment demain et de vous munir de tous vos
livres de comptes récents. Suite à l’enquête du commissaire Singleton, il y a
plusieurs sujets que je souhaiterais examiner avec vous. » J’avoue que j’eus
plaisir à voir son air déconcerté. Je le saluai d’un signe de tête et rejoignis
Mark qui se tenait devant une fenêtre. La neige tombait toujours, couvrant de
blanc la moindre surface, amortissant tous les bruits et brouillant la vue. Des
silhouettes voûtées et encapuchonnées commençaient à traverser la cour du
cloître en direction de l’église pour assister aux complies, le dernier office
de la journée. Les cloches recommencèrent à carillonner.
9
L orsque
nous regagnâmes notre chambre, Mark s’allongea à nouveau sur son petit lit. Bien
que je fusse aussi fatigué que lui, il me fallait mettre de l’ordre dans les
impressions qu’avaient produites sur moi tous les événements du dîner. Je m’aspergeai
le visage avec l’eau du broc puis allai m’asseoir près du feu. À travers la
fenêtre me parvenait un très faible bruit de chants.
« Écoute ! dis-je. Les moines assistent aux complies.
Ils prient Dieu de veiller sur leur âme à la tombée du jour. Eh bien ! que
penses-tu de cette sainte communauté de Scarnsea ?
— Je suis trop fatigué pour penser, gémit-il.
— Allez ! C’est ton premier jour dans un monastère.
Quel est ton avis ? »
Il se redressa sur ses coudes à contrecœur et prit une mine
sérieuse. Les ombres projetées par les bougies accentuaient les premières
ridules sur sa peau lisse. Un jour, me dis-je, les rides creuseraient de vrais
sillons sur son visage, comme c’était arrivé au mien.
« C’est un monde de contradictions, dirais-je. En un
sens, leur vie est un univers à part. Leurs soutanes noires, toutes ces prières…
Le frère Gabriel affirme qu’ils sont isolés du monde des pécheurs. Et pourtant,
vous avez vu la façon dont il m’a encore regardé, ce chien ? Et ils vivent
dans un tel confort. La chaleur de bons feux, les tapisseries, des mets plus
délicieux que tout ce que j’ai pu goûter auparavant. Ils jouent aux cartes
comme les clients d’une taverne.
— En effet. Saint Benoît serait aussi révolté que lord
Cromwell par le luxe dans lequel ils vivent. L’abbé Fabian se comporte à la
façon d’un grand seigneur. Et c’en est un, bien sûr, puisqu’il siège à la
Chambre des lords comme la plupart des abbés.
— J’ai l’impression que le prieur le déteste.
— Le prieur Mortimus se présente comme un sympathisant
des réformateurs qui désapprouve le confort. En tout cas il mène la vie dure à
ses subalternes. Et il y prend plaisir, à mon avis.
— Il me rappelle un ou deux de mes anciens maîtres.
— Les maîtres d’école ne s’acharnent pas sur leurs
élèves jusqu’à ce qu’ils s’évanouissent. La plupart des parents n’accepteraient
pas la façon dont il a traité le gamin. Apparemment les novices n’ont pas de
mentor particulier. Il n’y a pas assez de vocations. Les novices sont
entièrement sous la coupe du prieur.
— L’infirmier a essayé de l’aider. On dirait que c’est
un brave homme, même s’il donne l’impression d’avoir été rôti à la broche. »
J’opinai de la tête.
« Et le frère Gabriel est intervenu lui aussi. Il a
menacé le prieur d’en référer à l’abbé. Je n’imagine pas que l’abbé Fabian se
préoccupe énormément du sort des novices, mais si jamais la brutalité du prieur
dépassait les bornes, il devrait y mettre un frein pour éviter le scandale. Bien…
Nous les avons tous rencontrés désormais, les cinq qui connaissaient la raison
de la venue de Singleton. L’abbé Fabian, le prieur Mortimus, le frère Gabriel, le
frère Guy. Et
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