Dissolution

Désolé… »
    Je hochai la tête.
    « Et tout est en ordre maintenant dans la comptabilité ?
    — Dieu merci ! »
    Je me levai.
    « Très bien. Ayez donc la bonté de faire porter dans ma
chambre à l’infirmerie tous les registres concernant les comptes des douze
derniers mois. Ah ! et ceux des divers services également.
    — Tous les livres ? » L’économe n’aurait pu
paraître plus atterré si je lui avais ordonné d’enlever sa soutane et de
déambuler tout nu dans la neige. « Cela serait extrêmement gênant, car
cela emp-pêcherait les c-comptables de c-continuer à travailler…
    — Cela ne sera que pour une nuit. Deux, tout au plus. »
    Il sembla sur le point d’émettre d’autres objections, mais l’abbé
Fabian s’interposa.
    « Nous devons coopérer, Edwig. Les livres vous seront
apportés aussi vite qu’on pourra les rassembler, monsieur le commissaire.
    — Je vous en suis reconnaissant. D’autre part, messire l’abbé,
j’ai rendu visite au malheureux novice, cette nuit. Le jeune Whelplay. »
    L’abbé hocha la tête d’un air grave.
    « Oui. Le frère Edwig et moi-même irons le voir tout à l’heure.
    — Je dois vérifier les c-comptes du mois c-concernant
les œuvres charitables, marmonna l’économe.
    — Peu importe. En tant qu’administrateur le plus
important après le prieur Mortimus, vous devez m’accompagner… Le frère Guy
aurait-il émis une plainte ? soupira-t-il.
    — Une plainte très grave, dis-je. Apparemment, le jeune
homme aurait pu mourir… »
    L’abbé Fabian leva la main.
    « Soyez certain que je vais faire une enquête
approfondie à ce sujet.
    — Puis-je vous demander, Votre Seigneurie, quelle faute
ce garçon est censé avoir commise pour mériter un tel châtiment ? »
    Les épaules de l’abbé se raidirent.
    « Pour être franc, messire Shardlake…
    — Oui, soyez franc, je vous prie…
    — Ce jeune homme n’apprécie pas le nouveau rituel. La
prédication en anglais. Il tient beaucoup à la messe en latin et aux psaumes
chantés. Il craint qu’ils ne soient traduits en anglais…
    — Étrange préoccupation pour quelqu’un d’aussi jeune.
    — Il est très musicien. Il aide le frère Gabriel à tenir
ses livres d’offices. Il est très doué mais il exprime des opinions au-dessus
de sa position. Il les a émises au chapitre, alors qu’en tant que novice il n’y
est pas autorisé…
    — J’espère qu’elles ne sont pas félonnes, comme celles
du frère Jérôme.
    — Aucun de mes moines, monsieur, absolument aucun, n’exprimerait
des opinions félonnes, déclara l’abbé avec force. Et le frère Jérôme ne fait
pas partie de notre communauté.
    — Très bien. C’est donc pour cela que Simon Whelplay a
été envoyé travailler aux écuries et mis à l’eau claire et au pain sec. Cela
semble un peu dur. »
    L’abbé rougit.
    « Ce n’était pas sa seule faute. »
    Je réfléchis un court moment.
    « Il aide le frère Gabriel, avez-vous dit ? J’ai
cru comprendre que le frère Gabriel possède un certain passé… »
    L’abbé tritura nerveusement la manche de son habit.
    « Simon Whelplay a parlé en confession de certains… appétits
charnels. Pour le frère Gabriel. Mais il a péché en pensée, monsieur, seulement
en pensée. Le frère Gabriel ne le savait même pas. Il est resté pur depuis les…
incidents, il y a deux ans. Le prieur Mortimus surveille de près, de très près,
ce genre de chose.
    — Vous n’avez pas de moine chargé du noviciat, n’est-ce
pas ? Il y a trop peu de vocations.
    — Il y a plusieurs générations que les effectifs des
monastères sont en baisse, depuis la Grande Peste, dit l’abbé d’un ton doux et
posé. Mais, grâce à un renouveau religieux sous l’égide du roi, peut-être nos
maisons vont-elles connaître un regain de vie. Il se peut qu’il y ait davantage
de candidats à une existence de… »
    Je me demandai s’il croyait vraiment ce qu’il disait, s’il
était si aveugle aux divers signes. La note plaintive dans sa voix me fît
comprendre que ce n’était pas impossible. Il pensait sûrement que les
monastères pouvaient survivre. Je jetai un coup d’œil à l’économe. Il avait
pris un papier sur son bureau et l’étudiait, s’excluant de la conversation.
    « Qui sait ce que l’avenir nous réserve ? » Je
me tournai vers la porte. « Je vous remercie, messieurs. Il me faut à
nouveau braver les éléments, afin