Dissolution
frère Edwig, un chaud manteau par-dessus son froc, me
fixait, tout ébahi.
« Messire Sharddlake, ça va ? » Il parcourut
des yeux l’étendue déserte et je compris qu’il m’avait entendu me parler à
moi-même.
« Oui, frère Edwig. » Je me remis sur pied, conscient
de faire piètre figure, tout crotté que j’étais. « J’ai eu un petit
accident. J’ai failli tomber dans le marécage.
— Vous ne d-devriez pas marcher là-dessus, monsieur. C’est
t-très dangereux.
— C’est ce que je vois. Mais vous, que faites-vous ici, mon
frère ? N’avez-vous pas de travail à la comptabilité ?
— J’ai été rendre visite au n-novice malade avec l’ab-bé.
Je voulais m’éclaircir les idées. Je viens p-parfois ici pour me p-promener. »
Je le fixai attentivement. J’avais un certain mal à l’imaginer
en train de traverser des vergers enneigés pour faire de l’exercice.
« J’aime venir ici p-pour contemp-pler la rivière là-bas.
C’est rep-posant.
— Du moment que l’on regarde où l’on met les pieds !
— Heu ! Certes… P-puis-je vous aider à r-rentrer, monsieur ?
Vous êtes c-couvert de boue. »
Je commençais à trembler.
« Je peux me débrouiller tout seul. Mais, oui, il faut
que je rentre. »
Nous refranchîmes le portail et regagnâmes cahin-caha le
monastère. J’avançais aussi vite que possible, ma jambe détrempée me donnant l’impression
d’être un bloc de glace.
« Comment va le novice ?
— Il semb-ble se remettre, mais on ne sait jamais, avec
cette fièvre et ce mal de p-poitrine, dit-il en secouant la tête. J’ai eu la
même ch-chose l’hiver dernier et ça m’a emp-pêché de travailler à la
c-comptabilité durant d-deux semaines.
— Et que pensez-vous du châtiment que le prieur lui a
infligé ? »
Il secoua à nouveau la tête avec impatience.
« C’est d-difficile à dire… Il faut de la d-discipline.
— Mais « à brebis tondue Dieu mesure le vent »,
n’est-ce pas ?
— Les gens ont b-besoin de certitude. Ils ont b-besoin
de savoir qu’ils seront punis s’ils c-commettent une faute. » Il se tourna
vers moi. « Ce n’est p-pas votre avis, monsieur ?
— Certains ont la tête plus dure que d’autres. On m’avait
dit de ne pas aller dans ce marécage, mais j’y suis allé quand même.
— Mais il s’agit là d’une erreur de jugement, monsieur, pas
d’un p-péché. Et à ceux q-qui ont du mal à apprendre, il faut sans doute
justement leur donner une b-bonne leçon. Et ce garçon est maladif, il aurait pu
attraper la fièvre de t-toute façon », dit-il d’un ton rogue.
Je haussai le sourcil.
« Vous semblez voir le monde en noir et blanc, mon frère.
— Bien sûr, monsieur, répliqua-t-il, l’air déconcerté. Le
b-blanc s’oppose au noir. La vertu au p-péché. Dieu au d-diable. Les règles
sont écrites noir sur blanc et nous devons les suivre.
— Dorénavant, les règles sont édictées par le roi et non
plus par le pape. »
Il prit un air grave.
« Oui, monsieur. Et nous d-devons les suivre. »
Je me rappelai que, selon le frère Athelstan, ce n’était pas
ce qu’auraient dit frère Edwig et certains autres obédienciers.
« Je crois comprendre, frère économe, que vous étiez
absent la nuit où le commissaire Singleton a été tué ?
— Oui. Nous possédons des d-domaines à W-Winchelsea. Je
n’étais pas satisfait des c-comptes de l’intendant. Je suis allé là-bas à
cheval pour effectuer une insp-pection à l’imp-proviste. J’ai été absent trois
nuits.
— Et qu’avez-vous découvert ?
— J’avais c-cru qu’il nous volait. Mais il s’agissait
seulement d’erreurs. Je l’ai congédié cep-pendant. Je n’ai rien à faire d’hommes
qui ne savent pas tenir leurs c-comptes.
— Vous y êtes allé seul ?
— Je me suis fait accomp-pagner par l’un de mes
assistants. Le vieux frère William que vous avez vu à la comp-pta-bilité. »
Il me lança un regard pénétrant. « Et j’étais chez l’intendant, la nuit où
le c-commissaire Singleton a été t-tué. Dieu ait son âme ! ajouta-t-il
pieusement.
— Vous avez donc beaucoup de tâches. Mais au moins vous
disposez d’assistants pour vous aider. Le vieux et le jeune moine.
— En effet. Même si le jeune me c-cause plus d’ennuis qu’il
ne m’aide, dit-il en fixant sur moi un regard perçant.
— Vraiment ?
— Il n’est pas d-doué pour les chiffres, mais
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