Dissolution
rire.
« Oh, Mark ! Tu as passé trop de temps dans les
tribunaux de Sa Majesté pour affirmer cela. Mais tu as raison de m’encourager. »
Je triturai un fil qui pendait de la housse du siège. « Je deviens
mélancolique. Je me sens extrêmement abattu depuis de longs mois mais c’est
pire ici. Mes humeurs sont sûrement déséquilibrées. Il doit y avoir trop de
bile noire dans mes organes. Peut-être devrais-je consulter le frère Guy.
— Cet endroit n’est guère fait pour remonter le moral.
— Non. Et j’avoue, en plus, ne pas être tranquille. Je
pensais au danger tout à l’heure en traversant la cour. Un bruit de pas
derrière moi, une épée qui fend l’air en tournoyant… » Je levai les yeux
vers Mark qui se tenait devant moi. Son jeune visage était très inquiet et j’étais
conscient du poids que lui infligeait cette mission.
« Je sais. Ce lieu, ce silence brisé par ces cloches qui
vous font sauter comme un cabri…
— Très bien. Il est sage d’être sur ses gardes et je
suis content que tu sois disposé à avouer tes craintes. C’est une attitude
louable, plus virile que la bravade de la jeunesse. Et moi, je devrais moins me
laisser aller à la mélancolie. Ce soir il me faudra prier pour que Dieu me
donne de la force. » Je posai soudain sur lui un regard interrogateur.
« Et toi, pour quoi prieras-tu ?
— J’ai perdu l’habitude de prier le soir, répondit-il en
haussant les épaules.
— Ce ne doit pas être une simple habitude, Mark. Ne
prends pas cette mine inquiète, je ne vais pas te faire la leçon sur les vertus
de la prière. » Je me hissai sur mes jambes. Je sentais à nouveau la
fatigue dans mon dos meurtri. « Bien. On doit se secouer et jeter un coup
d’œil à ces registres. Ensuite, après le dîner, on s’occupera du frère Edwig. »
J’allumai de nouvelles bougies et nous plaçâmes les livres de
comptes sur la table. Comme j’ouvrais le premier et qu’apparaissaient des pages
rayées bourrées de chiffres et de griffonnages, Mark me fixa d’un air grave.
« Monsieur, Alice est-elle en danger à cause de ce qu’elle
vous a appris ? Si Simon Whelplay a été tué parce qu’il aurait pu révéler
un secret, elle pourrait subir le même sort…
— Je sais. Plus tôt j’interrogerai l’économe à propos de
ce registre manquant, mieux ça vaudra. J’ai promis à Alice que je ne la
mêlerais pas à cette affaire.
— C’est une femme courageuse.
— Et mystérieuse, non ? »
Il rougit et changea brusquement de sujet.
« Le frère Guy a dit que le novice a eu quatre visiteurs ?
— Oui. Et il s’agit des quatre principaux obédienciers
qui étaient au courant du but de la mission de Singleton, en plus du frère Guy.
— Mais c’est le frère Guy qui vous a dit que Simon a été
empoisonné.
— Je dois cependant éviter de me confier entièrement à
lui. » Je levai la main. « Bon, voyons ces livres, maintenant… Aux
Augmentations, tu as l’habitude de ces comptes de monastères, n’est-ce pas ?
— Bien sûr. On m’a souvent chargé de les vérifier.
— Parfait. Alors, examine ceux-ci et dis-moi si quelque
chose attire ton attention. Une dépense qui semble trop élevée ou qui ne
correspond à rien. Mais d’abord, ferme la porte à clef. Mordieu ! Je
deviens aussi peureux que le vieux Goodhaps. »
Nous nous mîmes au travail. Tâche fastidieuse. La
comptabilité en partie double, avec ses soldes constants, est plus dure à
suivre que de simples listes si on n’est pas comptable de métier, mais autant
que j’en pouvais juger il n’y avait rien d’insolite dans ces comptes. Les
revenus des terres du monastère et ceux du monopole de la bière étaient
substantiels. Les fortes sommes dépensées en achats de vêtements et provisions
de bouche, notamment pour la maison de l’abbé contrebalançaient les faibles
débours concernant les aumônes et les salaires. Il semblait y avoir en caisse
un surplus de cinq cents livres, somme conséquente mais pas inhabituelle, augmentée
par de récentes ventes de terres.
Nous travaillâmes jusqu’à ce que les cloches annonçant le
dîner retentissent dans l’air glacial. Je me levai et arpentai la pièce, frottant
mes yeux fatigués. Mark s’étira en grognant.
« Tout semble confirmer ce qu’on devinait. On a affaire
à un riche monastère, possédant beaucoup plus d’argent que les maisons de
moindre importance dont je m’occupais
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