Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
contentée, les préjugés renversés, le visage à découvert, une lueur au fond des yeux.
L’œuvre fut tant applaudie par ceux qui s’attendaient à la décrier, l’émotion fut si unanime qu’on se leva, qu’on battit des mains à tout rompre, et qu’on voulut, converti, non plus cacher sa présence, mais au contraire l’affirmer, suprême honneur rendu aux comédiens et à l’auteur. Le dernier mot prononcé, le dernier soupir rendu, un premier spectateur ôta son masque, le laissa tomber à terre, avec dignité, comme un vaincu déposant les armes. À Paris plus qu’ailleurs, les belles initiatives, les généreux élans partent souvent d’un point isolé, du cri d’un homme, du vers d’un poète, pour être aussitôt repris en chœur : c’est une vague qui entraîne l’océan après elle. En cette terre d’élection, la liberté finit toujours par l’emporter.
Après l’avoir unanimement conspuée, brûlée en effigie, on voulut s’empresser de congratuler celle qui avait tant brillé ce soir,d’un éclat sans pareil, mais là encore, comme en l’hôtel de Bourgogne, une annonce formidable jeta un trouble dans la salle : souffrante, la comédienne avait dû se retirer. Ce n’était qu’une demi-vérité, c’est-à-dire un pieux mensonge. La compagnie s’excusa de ne pouvoir prolonger les saluts. Quelques-uns descendirent recevoir au nom des autres les félicitations, les bouquets, les poignées de main, les révérences, mais les principaux acteurs demeurèrent dans l’ombre, derrière le rideau, prosternés, affligés.
S’agissait-il de veiller une malade ? Non. La tragédienne Desdémone se mourait, le sang à la bouche. »
Autre départ
— Desdémone ! dit le roi, mais comment est-ce possible ?
« Desdémone, reprend d’Artagnan, eut la force de confesser son geste, avant de s’en aller. Hercule, à ses genoux, en larmes, put l’entendre avouer toute la vérité :
— Mon amour, il me faut partir avant le lever du jour. Entre chien et loup, avant que la nuit n’ait tout envahi. J’ai choisi de mourir aujourd’hui, entre tes bras. Toi, tu as une vie à vivre, comme Diego, et moi, comme Gabriela, je me retire. À tes lèvres, j’ai bu l’élixir de vie et je pars sans regret, avec toute la jeunesse au cœur.
Oui, Sire, Desdémone a voulu choisir sa fin. Le poison qu’elle but dans la pièce allait accomplir son but. Mourir quand la salle vous acclame, vous adore, vous porte aux nues, quelle plus belle mort pour une tragédienne ?
Pardonnez-moi, Sire, de faire un pas de retrait, de laisser à leur douleur Hercule, Son Éminence, qui a pu assister à la fin du drame, en tenue officielle, Marie, la fille retrouvée, et toute la compagnie des comédiens qui donna la réplique à la belle Italienne.
Ils sont tous assemblés autour de la défunte, dans une prière commune.
Si je m’écarte, avant de m’entretenir bientôt avec le cardinal, c’est qu’un ami me fait signe de le retrouver.
Cet ami, je ne l’avais aperçu plus tôt.
Il était pourtant présent lors de la représentation, mais sans doute portait-il son masque comme tout un chacun. Cet ami, c’est le jeune Bastoche, il a une triste nouvelle à m’apprendre. Ce soir, c’est le grand retour des âmes : l’auteur François de Lyon vient de mourir. »
L’intrus
— L’auteur des Conquistadors ? demande le roi, bouleversé.
— Lui-même, Sire, bien que ce nom ne soit effectivement qu’un nom d’emprunt.
— Alors il ne peut s’agir de monsieur Corneille…
— Effectivement non, Molière s’était trompé. Mais cet auteur n’en demeure pas moins un grand homme, car un grand homme demeure ici-bas jusqu’après sa mort, non pas à l’état de mortel, mais dans les mémoires et les cœurs.
« Que s’est-il passé ?
Je peux tout vous dire, comme si j’avais été présent. Et vous comprendrez pourquoi.
Tout a commencé à l’instant où je suis venu retrouver le brigand Belles-Manières avant le commencement de la pièce. Je lui ai rapporté, souvenez-vous, l’offre de Son Éminence, et ne pouvant influer sur sa décision, je le quittai… non pas pour prendre place sur les bancs, mais pour découvrir le corps inanimé de Fortunio, puis pour délivrer votre parrain de ses liens. Tout de suite après mon départ, un spectateur qui se trouvait alors tout proche du brigand, un spectateur qui en avait suffisamment entendu pour comprendre que ce qu’il cherchait alors se
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