Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
côtes et les flancs des volées de bois vert, mais sa canne est tranchée par le milieu. Désormais, il n’a plus même de quoi se défendre. On rit de tenir si belle proie, on s’amuse par avance des supplices qu’on va pouvoir lui infliger, quand un nouvel intervenant vient mettre son poids dans la balance. Les forces s’équilibrent.
Ne me remerciez pas trop vite
Cet arrivant, c’est Belles-Manières. Pour commencer, il frappe de dos.
L’un des rieurs ne rit plus, il meurt.
François de Lyon évite une estocade, se penche, ramasse l’arme du défunt, tombée à terre, et reprend l’assaut. Il n’a pas le temps de saluer, de remercier son protecteur. Il est concentré sur sa tâche, il retrouve de vieux réflexes, il se ranime feu et flamme, en retrouvant la froideur d’une lame de fer. Il a cinquante ans, mais en paraît vingt de moins. Les autres n’ont pas son métier ni son expérience. François de Lyon est blessé à la jambe, il faiblit, mais sa faiblesse le rend plus fort, le sang lui monte au cœur, il frappe de la taille, du coude, du pommeau et de la main.
Rompus, cognés, transpercés, les hommes se couchent dans leur sang, se traînent à terre. Vers quelle destination ? L’Au-delà. C’est Belles-Manières qui achève la besogne, après s’être débarrassé de ses propres adversaires.
Avant même de remercier son partenaire, François de Lyon rentre dans l’atelier.
Son ami est bien mort. Il ne peut plus rien pour lui.
Les soudards étaient sur le point de partir quand le poète arriva. Tous les livres ont brûlé. Tous, oui, sauf un, le manuscrit original, réparti en plusieurs cahiers. Le poète les reprend.
Il va les glisser au fond d’une sacoche et revient tendre la main à cet inconnu providentiel qui lui a sauvé la vie.
— Monsieur, dit François de Lyon, sans vous, j’étais perdu.
— Ne me remerciez pas trop vite, dit Belles-Manières. J’ai été payé pour vous tuer, ces messieurs m’ont empêché de faire mon travail, mais maintenant qu’ils ne nous dérangent plus, j’aimerais pouvoir apporter satisfaction à mon employeur.
François de Lyon se bat contre La Mort
Si dans cette histoire, Votre Majesté, personne n’est vraiment ce qu’il paraît être, en revanche chacun reste fidèle à lui-même, en allant au bout de ses choix.
Encore une fois, quand tout est fini, tout recommence. La vie est un cercle.
François de Lyon est blessé à la jambe.
Belles-Manières porte quelques éraflures.
C’est le brigand qui reprend l’offensive. Il affronte un escrimeur de premier choix. Ce genre de bretteur ne se rencontre pas tous les jours. Il apprécie. On n’est jamais aussi bon que quand on semesure à plus fort que soi. Voilà sans doute la raison pour laquelle, contre toute attente et après un combat comme il en a rarement mené, Belles-Manières peut s’avouer vainqueur et porter la couronne : il a pénétré la défense de l’invincible.
— Comment vous nommez-vous, monsieur ? demande François de Lyon.
— Pierre Mathieu, dit Belles-Manières, dit La Mort.
— La Mort … C’est bien, vous étiez attendu.
L’auteur montre cette tache rouge qui grandit à son flanc.
C’est la fin.
— Monsieur, dit le poète, j’ai deux services à vous demander, si vous le voulez bien, ce seront mes dernières volontés.
— Je serai honoré, gentilhomme, de pouvoir vous apporter satisfaction. Je ne méritais pas de gagner et vous avez bravement combattu.
— Vous deviez connaître la victoire, c’était écrit.
— De le savoir me soulagera peut-être, car je sens bien que je viens de tuer un homme peu ordinaire, mais vos volontés…
— La première : qui vous a engagé ?
— Hélas, l’homme ne m’a pas donné son nom. Un lâche, comme toujours, voilà qui m’a engagé, les riches commandent et les pauvres vont abattre l’ouvrage, c’est la tradition.
À cet instant, un jeune homme s’approche et dit :
— Moi, je sais qui c’est. Un éminent critique…
— Janisse de La Ravoie ? demande François de Lyon.
— C’est lui ! dit Bastoche.
François de Lyon tend le bras pour s’appuyer sur son adversaire. Un sourire amer sur les lèvres, il songe tout haut :
— La Critique engage La Mort pour tuer le Poète . Ma foi, cela ferait une belle conclusion.
Départ
Oui, Bastoche a tout vu, sans pouvoir intervenir, il se montre quand la partie est conclue.
Comment Bastoche sait-il pour le commanditaire ?
C’est fort
Weitere Kostenlose Bücher