Douze
Opritchniki – plutôt que de les laisser ici être réduits en cendres par les flammes dévorant tout sur leur passage –, ç’aurait été impossible. Ioann ne semblait pas le moins du monde reprendre conscience et il n’y avait que peu d’espoir, même à nous deux, de faire remonter l’escalier en flammes à son cercueil.
— Laisse-le, Dimitri ! Viens ! Maintenant !
Dimitri m’ignora et continua à tirer pathétiquement sur le cercueil. Je me précipitai vers lui et l’arrachai de là. Il ne pouvait guère offrir de résistance. Je le poussai en direction des portes et il sembla alors se plier à ma volonté, ou prendre conscience que sa tentative de sauvetage était vaine. Je le dirigeai, devant moi, dans l’escalier de bois. Lorsqu’il fut presque en haut, tandis que j’étais à peu près à mi-hauteur, une marche céda sous mon pied. Le feu était intense en dessous – assez pour dévorer les marches sans pour autant les enflammer. Lorsque ma jambe glissa dans le vide, jusqu’à la cuisse, je sentis immédiatement la chaleur de la cavité. Ma jambe commença à rôtir et je souffris comme jamais auparavant.
Je me tordis de douleur et plongeai le regard vers le bas de l’escalier, dans la cave. À travers la fumée et les flammes, je vis Ioann, désormais éveillé et luttant pour se frayer un chemin vers nous. Ses yeux tombèrent sur moi et, d’un bond qui était incontestablement similaire au mouvement avec lequel Varfolomeï s’était jeté sur moi la nuit précédente, il attaqua. Il ne semblait pas tant s’inquiéter de sauver sa vie que de venger sa propre mort et celle de Iouda ou, du moins, de faire un dernier repas.
Lorsqu’il sauta, le plafond au-dessus de lui céda. Des poutres en flammes s’écrasèrent au sol et emportèrent Ioann avec elles. Elles seraient tombées sur moi aussi, me clouant à l’escalier et me prenant au piège de ce brasier, si je n’avais pas senti les bras forts de Dimitri, à cet instant-là, me soulever et m’entraîner vers le corridor au-dessus. Même ainsi, nous n’étions pas en sécurité. La maison tout entière était embrasée et sur le point de s’effondrer. Nous nous précipitâmes vers la porte, l’un de nous soutenant l’autre, bien que je ne puisse dire lequel, et nous parvînmes dehors dans l’air frais et vivifiant de Moscou.
L’incendie avait maintenant attiré une certaine attention. Un capitaine français tentait d’organiser une chaîne humaine, constituée aussi bien de soldats français que de civils russes, pour amener de l’eau jusqu’au feu. La tâche était vaine, mais ils étaient focalisés dessus et ne prêtèrent guère d’attention aux deux silhouettes qui venaient tout juste d’émerger de la maison et gisaient, haletantes, dans la rue.
Enfin, j’entendis une voix demander, avec un véritable accent moscovite :
— Que faisiez-vous là-dedans ?
Je relevai la tête. C’était une fille d’environ quinze ans, dépenaillée, au visage sale et aux cheveux noirs très bouclés. Elle était penchée sur Dimitri pour voir s’il était inconscient ou mort, mais elle s’adressait à moi.
— Nous dormions dedans. Notre maison a déjà brûlé. Cette fois, nous y sommes presque restés. (Je roulai de côté vers Dimitri.) Comment va-t-il ? demandai-je.
— Il est méchamment brûlé, mais il se peut qu’il vive, répondit-elle, puis elle se rendit auprès du capitaine qui, je présumai, l’avait envoyée pour découvrir pourquoi nous étions là.
Elle lui parla brièvement et revint ensuite auprès de nous.
— Venez avec moi, dit-elle, essayant de soulever Dimitri.
Je glissai mon épaule sous le bras de Dimitri et, ensemble, nous parvînmes à le remettre sur ses pieds. Avec le peu de conscience qui lui restait, il réussit tant bien que mal à tenir sur ses jambes et, ainsi, nous progressâmes lentement, nous éloignant des bâtiments en flammes. Ma propre jambe me donnait toujours l’impression d’être en train de cuire à l’intérieur de ma culotte, mais la douleur restait constante, que je m’appuie dessus ou non, et elle n’était donc pas un grand obstacle à notre progression.
— Quel est ton nom ? demandai-je à la fille tandis que nous marchions.
— Natalia.
— Je m’appelle Alexeï. Voici Dimitri.
— Pourquoi êtes-vous restés à Moscou ? dit-elle.
— Notre maisonnée a fait ses bagages et nous a laissés derrière. Il est cuisinier. (Je fis un signe de tête en
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