Du sang sur Rome
et
méprisent le faible qui se vexe inutilement. Pendant ce temps Metrobius
continuait de chanter sa chanson.
Il avait déformé la vérité. Lucius Cornélius Sylla n’était
pas sans logis quand il était jeune, et sans doute avait-il des sandales, mais
dans tous les récits concernant ses origines, les historiens rapportent qu’il
était pauvre.
Les Cornélius appartenaient à une famille patricienne qui
jadis avait eu de l’influence et du prestige. L’un de ses membres, un dénommé
Rufinus, avait été consul. Sa carrière se termina par un scandale : à
cette époque où l’intégrité était la règle, un citoyen romain n’avait pas le
droit de posséder de l’argenterie dont la valeur dépassait dix livres. Rufinus
fut exclu du Sénat. La famille déclina et tomba dans l’oubli.
Jusqu’à ce qu’apparaisse Sylla. Son enfance fut gâchée par
la misère. Son père mourut jeune et ne lui légua rien. L’adolescent vécut dans
des logements réservés aux esclaves affranchis et aux veuves. Il avait acquis
pouvoir et richesse grâce à la corruption et à la dépravation, prétendent ses
ennemis. Sylla et ses alliés préfèrent insister sur sa chance, comme si une
volonté divine, et non pas l’obstination et la force de caractère de Sylla, lui
avait permis de remporter tant de victoires et d’écraser ses adversaires dans
le sang.
Sa jeunesse ne laissait pas présager un brillant avenir. Son
éducation fut le fruit du hasard. Il fréquenta les gens de théâtre :
acrobates, comédiens, costumiers, poètes, danseurs, acteurs, chanteurs.
Metrobius fut au nombre de ses premiers amants, mais fut loin d’être le seul. C’est
dans ce milieu bohème qu’il acquit le goût de la promiscuité.
Le jeune Sylla avait du charme. Il était trapu, bien
charpenté. Ses cheveux blonds le distinguaient dans la foule et ses yeux bleu
pâle avaient un éclat singulier. Son regard dominateur confondait ceux qui
osaient le soutenir un instant.
La riche veuve Nicopolis fut une de ses premières conquêtes.
Nul n’ignorait qu’elle accordait ses faveurs aux jeunes gens qui les
recherchaient. Selon la rumeur publique elle offrait son corps à tous les
hommes mais jamais son cœur. Sylla s’éprit sincèrement d’elle. D’abord elle
railla son profond attachement, mais la persévérance et le charme de Sylla
eurent raison de sa réticence et, à cinquante ans, elle se trouva amoureuse d’un
jeune homme qui aurait pu être son fils. Quand elle mourut des suites d’une
fièvre, elle légua tout ce qu’elle possédait à Sylla. La chance avait commencé
à lui sourire.
Quelque temps après, la seconde femme de son père, à qui sa
famille avait laissé des biens importants, mourut en faisant de Sylla son seul
héritier. Il était maintenant à la tête d’une coquette fortune.
Après avoir connu les
plaisirs de la chair et de l’argent, Sylla décida de se lancer dans la
politique en passant par l’armée. Marius venait d’être élu consul pour la
première fois. Il prit Sylla sous son aile et le nomma questeur. Pour combattre
Jugurtha en Afrique, Sylla se lança dans l’espionnage et la diplomatie la plus
fourbe. Ses Mémoires, dont les
premiers volumes circulaient déjà à Rome sous le manteau, retracent en détail
les intrigues tortueuses qu’il noua. Jugurtha fut vaincu et amené à Rome, nu et
enchaîné. Il mourut peu de temps après dans son cachot, à demi fou à la suite
des tortures et de l’humiliation qu’il avait subies. Marius avait organisé la
campagne, mais c’était Sylla qui, au risque de sa vie, avait persuadé le roi de
Numidie de trahir son gendre. On fit un triomphe à Marius, la rumeur laissa
entendre que le mérite en revenait à Sylla.
Marius ne supportait pas les éloges que l’on faisait de
Sylla. Il continua néanmoins de se servir de lui et le promut à l’issue de
chaque nouvelle campagne. La jalousie du vieil homme obligea bientôt Sylla à
chercher d’autres protecteurs. A la tête des troupes du consul Catulus, Sylla
soumit les tribus barbares des Alpes. Quand des chutes de neige prématurées
isolèrent les légions romaines dans les hautes vallées et les privèrent de tout
ravitaillement, Sylla réussit à acheminer des vivres à la fois pour ses propres
troupes et pour celles de Marius, qui en éprouva un vif ressentiment. Suscitée
par de tels incidents, une jalousie mesquine naquit. Elle fut à l’origine de la
rivalité qui allait opposer
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