Du sang sur Rome
Il fit
arracher l’or qui recouvrait les statues à Épidaure. À Olympie il fit fondre
les offrandes consacrées aux dieux et s’en servit pour battre monnaie. Il
écrivit aux gardiens de l’oracle de Delphes et exigea leur trésor, affirmant qu’entre
ses mains il serait préservé pendant la guerre et que, si d’aventure il l’utilisait,
il ne manquerait pas de le remplacer. L’envoyé de Sylla, Caphis, arriva à
Delphes, pénétra dans le sanctuaire intérieur, entendit le son mélodieux d’une
lyre invisible et fondit en larmes. Dans une missive adressée à Sylla, Caphis
le supplia de reconsidérer la question. La réponse de Sylla fut catégorique :
par le son de la lyre, Apollon ne manifestait pas sa colère mais son
approbation. On emporta dans des sacs les objets précieux qui n’étaient pas
trop volumineux. On brisa la grande urne en argent et on en chargea les
fragments dans un chariot. L’oracle se tut.
Les Grecs, en particulier les Athéniens, avaient accueilli
Mithridate à bras ouverts, trop heureux de se libérer du joug romain. Sylla les
châtia. Le siège d’Athènes fut une terrible épreuve. Pour garder le moral, la
population réduite à la famine composa des chansons grivoises qui raillaient
Sylla. Du haut des murailles, le tyran Aristion invectivait contre les Romains,
accablait d’insultes Sylla et son épouse (la quatrième, une certaine Metella).
Pour se faire comprendre ils accompagnaient leurs paroles d’une mimique obscène
des plus compliquées, qu’ignoraient les Romains, mais qu’ils adoptèrent par la
suite. De nos jours elle est à la mode à Rome parmi les bandes de voyous et les
jeunes oisifs.
Une fois les murs escaladés et les portes de la ville
ouvertes, il y eut un véritable carnage. On raconte que, sur la place du marché
couvert, on avait du sang jusqu’aux chevilles. Quand la folie sanguinaire fut
apaisée, Sylla mit fin au pillage et se rendit à l’Acropole pour rendre un bref
hommage aux anciens Athéniens et conclut par ces paroles restées célèbres :
« Je pardonne à un petit nombre par amour du plus grand nombre, aux
vivants par amour pour les morts. » On les cite souvent pour illustrer
soit sa profonde sagesse, soit son humour caustique.
Entre-temps la guerre civile mijotait à Rome comme dans un
immense chaudron. Sylla fut déclaré hors la loi. Le chaos régnait et le sang
coulait. Marius fut nommé consul pour la septième fois, mais mourut dix-sept
jours plus tard.
Après avoir repoussé Mithridate jusqu’au royaume du Pont,
Sylla déclara que sa campagne d’Orient avait été un succès triomphal et rentra
en Italie à marches forcées. La Fortune continuait de lui sourire. A Signia,
Sylla fut attaqué par l’armée de Marius, le fils du consul. Vingt mille des
soldats de Marius furent tués, huit mille furent faits prisonniers. Sylla
perdit seulement vingt-trois de ses hommes.
Le second siège de Rome fut une opération plus délicate.
Sylla et Crassus s’approchèrent de la ville par le nord, Pompée par le sud. L’aile
gauche de l’armée commandée par Sylla fut anéantie. Lui-même faillit être
transpercé par un coup de lance. Il dut son salut à une petite statuette dorée
d’Apollon, qu’il avait volée à Delphes, prétendit-il plus tard. Il l’avait
toujours sur lui pendant les batailles, il la portait à ses lèvres, lui
murmurait des prières et des paroles d’amour. La rumeur de la mort de Sylla se
répandit dans les deux camps. Enfin, à la nuit tombante, Sylla apprit que l’aile
droite commandée par Crassus avait détruit l’ennemi.
Une fois à Rome, Sylla désarma les derniers défenseurs de la
ville, six mille hommes originaires de Samnie et de Lucanie, qui furent
rassemblés comme du bétail dans le Grand Cirque. Sylla convoqua les sénateurs.
Au moment même où il prenait la parole, le massacre des prisonniers commença.
On entendit leurs hurlements dans toute la ville. Dans la grande salle du Sénat
c’était comme si des fantômes gémissaient au loin. L’assemblée était atterrée.
Sylla continua son discours d’un ton aussi calme que s’il ne se passait rien d’extraordinaire.
Les sénateurs étaient dans tous leurs états, tournaient en rond et murmuraient
entre eux. Le calme se rétablit quand Sylla tapa du pied et leur cria d’écouter
ce qu’il leur disait : « Ne prêtez pas attention à ce brouhaha. J’ai
donné l’ordre de châtier des criminels. »
Avec l’accord du
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