Duel de dames
tête d’une colonne de gardes,
et déploya ses gens d’armes sur le parvis de l’hôtel de Sens, entre les deux
tourelles cornières, et plaça des hommes en faction à toutes les autres entrées.
Au même moment, la reine et sa première dame d’honneur
se hâtaient le long de la galerie, dite galerie des Chasses, qui reliait la
demeure de la reine à celle du roi. Enfin elles s’engouffrèrent dans l’Hôtel
dont cette entrée n’était pas gardée comme à l’accoutumée. En traversant une
succession de salles, elles furent saisies par l’atmosphère glaciale qui y
régnait malgré les flammes qui dévoraient branchages et troncs d’arbres dans
les monumentales cheminées. Les murailles mêmes, encore dénudées de leurs
tentures et tapisseries, suaient la froideur de l’abandon. Elles croisèrent
quelques groupes épars de serviteurs ou de courtisans qui semblaient désemparés,
et qui s’inclinèrent profondément à leur passage.
Après une enfilade de corridors, transies par
cette atmosphère lugubre qui tranchait tant avec l’animation bruyante et
joyeuse coutumière à la maison du roi, Isabelle et Catherine grimpèrent l’escalier
à hélice qui menait au petit retrait, dit Retrait des Études, où Charles VI
aimait à travailler dans l’isolement.
Bois-Bourdon commençait à faire évacuer l’hôtel. Il
fit renvoyer les serviteurs à leurs tâches, les seigneurs et petits barons en
leurs logis. La consigne était formelle : le roi était empêché.
C’est alors que le duc Louis d’Orléans se présenta.
*
Devant la porte du cabinet royal, un moine chétif
et braillard gesticulait face à un chambellan de l’Hôtel qui restait impassible.
À la vue de la souveraine, le petit moine se
précipita vers elle.
— Madame, madame, il vous fallait en ces
lieux, gesticula-t-il de plus belle. C’est un affront, cette… (soudain il eut
le visage ravagé de tics) cette Ozanne de Louvain interdit la porte de
monseigneur.
Isabelle détestait le chapelain de Charles VI,
Pierre de Foissy, aussi regardait-elle le chambellan.
— Il est vrai que M me de Louvain
ne veut personne auprès du roi, dit ce dernier en s’inclinant.
— Personne ! reprit le moine plus
tiqueux que jamais, même… même moi, son confesseur, je ne puis bénir son retour…
— Le roi lui-même ne vous a pas voulu à son
partir ! lui assena Isabelle.
La reine faisait allusion au refus de Charles VI
d’emmener son chapelain avec lui. « Je vais en Avignon, lui avait-il dit, j’aurai
assez de gens d’Église autour de moi, j’aurai même le pape. » Il voulait
en vérité jouir de tous les plaisirs en ses provinces, sans être harcelé par la
morale fanatique de Pierre de Foissy.
Comme ce dernier protestait en bégayant d’indignation,
Isabelle coupa court :
— En voilà assez ! Allez à la chapelle, priez
pour votre roi, et ne réapparaissez pas en ces lieux avant qu’il ne vous fasse
mander.
*
Louis d’Orléans avait belle allure, grand de taille,
large d’épaules, mince de corps et de visage sous une foison de cheveux
châtains.
Le sire de Graville salua son arrivée d’une
brève inclination de tête. Le prince, vêtu d’une gonelle fourrée [17] ,
hautement botté de heuses de cuir calamistré, et coiffé d’un chaperon à triples
tours de cou, arborait une tenue qui n’était pas sans rappeler celle des
chevaucheurs, remarqua Bois-Bourdon. Tout était bon pour illustrer son récent
exploit, songea-t-il, connaissant l’immense orgueil de ce prince.
— Heureux de vous revoir, monsieur le
sénéchal du Berry, salua le jeune duc à son tour. On dit le roi en son logis. J’en
suis fort aise, les alarmes de la reine ne sont plus de mise. Je savais bien, moi,
qu’il n’était pas perdu. Mais que veut dire ce déploiement de forces ? demanda-t-il
en observant autour de lui.
— Il assure au roi le repos dont il a grand
besoin. Mais je ne vous ai point encore félicité pour votre prouesse, monseigneur,
et vous paraissez bien fringant après une telle course.
— Un passage aux étuves et il n’y paraît plus.
J’ai bonne endurance et constitution.
— Vous feriez une bonne estafette si vous
vouliez vous rendre utile.
Le trait piqua Louis. Il avait toujours craint cet
ombrageux chevalier dont il connaissait le courage et le parler droit. Malgré
son rang et ses dix-neuf ans, il restait impressionné par la mâle présence de Bois-Bourdon.
— Je vais y penser.
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