Duel de dames
précipita à la maison du roi où l’on faisait porter
le connétable, et le trouva gisant sur un lit. Charles VI appelait à
grands cris le secours de ses chirurgiens et médecins, en s’arrachant le peu de
cheveux qu’il lui restait depuis sa fièvre d’Amiens. La reine s’approcha du
gisant, et vit bien qu’il respirait.
— Comment vous sentez-vous ? lui
demanda-t-elle.
— Bien petitement, mais il m’en reste assez
pour que je vive. Calmez votre époux, madame, ils m’ont bien manqué. Ce n’est
pas demain que l’on abattra le Boucher borgne.
Le jour suivant, tous connaissaient les
circonstances de l’attentat. Alors que Clisson rentrait chez lui en simple
compagnie, il s’était vu entouré de gens armés à l’angle de la rue
Sainte-Catherine. Il crut à une plaisanterie du duc d’Orléans, car il avait été
question qu’ils se retrouvent chez Poulain pour finir la fête en galante
compagnie. Le traître, comprenant la méprise du connétable, crut bon de se
nommer tant il pensait tenir sa vengeance : « Je suis Pierre de Craon !
Vous m’avez tant de fois offensé, qu’il faut ce soir le payer de votre vie ! »
L’attaque avait été violente, certains écuyers se jetèrent au secours de leur
maître et tombèrent morts, la poitrine percée à plusieurs reprises, et les
autres serviteurs s’enfuirent, épouvantés. Abandonné, Clisson, qui portait une
forte cuirasse sous ses vêtements, n’avait qu’un poignard. Il para vaillamment
comme il put, mais succomba sous le nombre, et tomba contre la porte ouverte d’un
boulanger qui faisait son pain à cette heure. Les conjurés, le croyant mort, avaient
alors déguerpi sans plus insister.
La colère du roi fut sans merci. Toucher à son
connétable, c’était toucher à sa personne, un crime de lèse-majesté. Il fit
rechercher activement Craon, et s’en prit à l’épouse de ce dernier, Jeanne de Châtillon,
et à sa fille, qui furent jetées à la rue avec ce qu’elles portaient sur elles.
Le vieux concierge et un page, qui n’avaient pas songé dans leur innocence à
fuir, furent écartelés et pendus. La maison fut rasée, la rue rebaptisée « rue
des Mauvais Garçons ». Les biens et les châteaux du meurtrier furent
confisqués au bénéfice de Louis d’Orléans.
Le bruit courut que Craon avait cherché refuge
auprès de son cousin, Jean de Montfort. Le roi envoya des messagers, sommant
le duc de Bretagne de lui rendre le félon, ce dernier refusa de livrer
Pierre de Craon, le disant en Espagne.
Le roi de France, furieux, fit lever la bannière
de Saint-Denis. Il irait chercher Pierre de Craon lui-même, par la force
des armes, et en finirait du même coup avec Montfort, ce vassal qui l’avait
trop souvent défié. Ordre fut donné pour que l’armée s’assemblât en août, au
Mans.
La décision du roi dressa ouvertement les princes
des Fleurs de lys contre les Marmousets. Les oncles étaient farouchement opposés
à la campagne de Bretagne, cette folie risquait de mécontenter le souverain d’Angleterre
qui pouvait rompre la trêve. Les Marmousets voulaient cette guerre, car ils
étaient du côté de Clisson. La division gagna l’opinion publique : que de
débours encore pour un petit baron ! Le crime contre le connétable avait
pour origine une querelle bretonne ? Qu’on la laissât aux Bretons. Même
division dans l’armée. Parmi les chevaliers qui venaient de tous les horizons, certains
n’étaient-ils pas liés à Jean de Montfort ? Les soupçons s’installaient,
on craignait la trahison.
Ainsi, le piège tendu à Craon par Bois-Bourdon
étendait ses tentacules comme une hydre venimeuse.
La plus terrible querelle fut celle entre le roi
et son frère. Louis força la porte du Retrait des Études où se soûlait Charles VI.
— Tu ne peux gaspiller les forces du royaume
contre le royaume lui-même, alors que le pape Clément attend toujours que tu
tiennes ta promesse !
— Pour qu’il tienne la sienne à toi promise !
rugit le roi qui se leva en titubant. Je connais tes ambitions italiennes, tu
lorgnes sur les terres pontificales depuis que Clément te les a engagées.
— Tu as la couronne, ne puis-je avoir un
royaume ? Ne suis-je pas le plus démuni des princes des Lys ?
— Tu ne veux pas un royaume, tu veux
la France ! s’exclama Charles en chancelant et se rattrapant de justesse
au dossier de son faudesteuil. C’est ma mort que tu veux.
— Tu es ivre, tu
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