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Edward Hopper, le dissident

Edward Hopper, le dissident

Titel: Edward Hopper, le dissident Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Rocquet
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l’amandier. Et nous savons comment un jour, dans une exposition où l’une de ses toiles était exposée, Bonnard, tandis que Vuillard faisait le guet, ou distrayait le gardien, avait
sorti de sa poche un petit attirail de peintre, et ajouté à la toile l’accent qui lui manquait encore… Quand la personne pose le pinceau et se retourne vers Bonnard, il a cessé de vivre. La mort, dit Malraux, change la vie en destin. Quelle grâce, quelle consolation, quand le dernier instant est un instant de lumière, un instant de grâce ! Lui, qui voulait arriver devant les jeunes peintres de l’avenir, devant les jeunes gens du siècle futur, avec des ailes de papillon. Le dernier verger de Bonnard est un paradis.
    Le peintre, Hopper, lorsqu’il travaillait à sa dernière toile, lorsqu’il cesserait après cela d’être peintre, savait-il qu’il peignait sa dernière peinture ? S’il le savait, de quel savoir ? La Vue de Delft fut la dernière peinture de Bergotte, la « dernière » page de Proust. Two Comedians , « Deux comédiens », en 1965, est une peinture de grande dimension : 73,4 cm sur 101,6. Elle représente deux personnages de la comédie italienne, Pierrot et Colombine (ou Pierrette), à l’avant-scène, au bord de la scène, s’inclinant légèrement pour le salut final, se tenant par la main comme il est d’usage, et lui porte sa main gauche sur sa poitrine, sa main libre, comme s’il la posait sur son cœur ; mais l’un et l’autre, également, se saluent et se désignent l’un l’autre. Son cœur : ce cœur, qui bat, qui va cesser de battre ; car, s’il s’agit d’un salut, final, avant que tombe le rideau, que la salle se vide et soit déserte, que les lumières des projecteurs et la lumière de la rampe s’éteignent, que le plateau soit noir et nu, désertes les coulisses, s’il s’agit bien de la fin du spectacle, s’il s’agit d’un salut qui signifie que finie est la comédie, que c’est la fin du spectacle, que tout est dit, il s’agit aussi d’un adieu. Adieu pour ce soir, pour cette saison, adieu pour toujours. Adieu. Qui a joué, dans un
théâtre, sait à quel point le salut final peut être poignant; celui qui marque la fin de la représentation, et plus encore celui qui clôt la dernière représentation. Ce qu’on joue alors, pour de bon, mais rêvant à demi, ce qu’on goûte, c’est quelque chose comme le goût de la mort. On entre vivant dans son propre deuil. La chaleur des mains de nos camarades dans les nôtres. Ou, si nous sommes seul, nos deux mains réunies. Un navire accoste, il appareille, il apparaît une dernière fois pour disparaître. Ce fut une traversée. Nous voici, vous et nous, arrivés. Adieu !
    Au bord de la scène, disait Joséphine, « comme sur le pont puissant d’un bateau ».
    Cette dernière toile de Hopper est délibérément un adieu. Ceux qui prennent congé de nous sont Joséphine et Edward. Au moment de disparaître, au moment de n’être plus, de n’être plus que des ombres absorbées dans l’ombre du théâtre, ils sont ensemble, ils se tiennent la main. Ils s’aimaient donc, et de cette manière ? Leurs querelles, et sa méchanceté, à lui, n’étaient donc pas la vraie vie, mais une espèce de comédie, amère ? Edward, jadis, a peint, sur une scène minable, devant un public indifférent sinon sarcastique, Joséphine nue, en strip-teaseuse, la pointe des seins maquillée de rouge, faisant flotter au-dessus d’elle un voile bleu : « peinteresse » sans succès, ombre du grand homme, vrai peintre, lui. Mais la voici, en Colombine, blanche comme une jeune mariée, tenant la main, tenue par la main d’Edward, l’homme de sa vie. Est-ce donc au moment de mourir qu’on sait la vérité sur soi-même, et sur le couple qu’on fut ? Est-ce au bord de la mort qu’on reconnaît l’amour ? Ces jeunes amoureux de théâtre sont vieux. Le couple n’avait plus vraiment l’âge du rôle. La
blancheur du costume, blancheur de lune, blancheur de nuit, a quelque chose d’un linceul. Tenez-vous bien debout, camarades ! Tenez-vous bien fort la main ! Que la faiblesse des applaudissements ne vous trouble pas. N’écoutez que votre cœur, un même cœur. N’écoutez que votre souffle, tandis que vous reprenez souffle, après la dernière poursuite, la dernière danse. Vous pouvez maintenant oublier tout votre rôle, perdre votre brochure, la laisser dans votre loge, salie de traces, froissée, vous ne

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