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En ce sang versé

En ce sang versé

Titel: En ce sang versé Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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d’un charme trompeur, une question me taraude : Henriette n’avait-elle pas mérité, au cours de toutes ses années passées en ce lieu, l’affection de ses sœurs ?
    — En contradiction avec ce que nous a affirmé l’abbesse, me semble-t-il, rétorqua Hardouin.
    Au moment où il prononçait ces mots de consolation, un vague souvenir lui revint, qu’il n’approfondit pas, interrompu par l’entrée d’une très grande femme, à la peau d’une blancheur spectrale, au regard d’un bleu de myosotis et aux sourcils si blonds qu’ils paraissaient blancs. Il émanait d’elle une indiscutable froideur.

    Ils se levèrent et elle s’avança vers eux en les scrutant, mains croisées sur le devant de sa robe. Hardouin remarqua aussitôt que le pouce, l’index et le majeur de sa main droite étaient tachés de noir de charbon, du bleu profond de l’oxyde de cobalt qui avait remplacé la poudre de lapis-lazuli d’un prix exorbitant, et d’or de feuilles 3 . Elle portait des sur-manches 4 constellées de souillures d’un rouge intense qui semblaient récentes. Elle s’éclaircit la gorge avant d’annoncer, sans surprise :
    — Muriette Letoine, sœur copiste et archiviste. Ma chère mère… vous savez cela.
    Peut-être le silence imposé en l’abbaye expliquait-il son ton incertain, ses mots qui semblaient avoir du mal à se former ? À moins qu’il ne s’agisse de timidité, une timidité dissimulée derrière une apparence distante.
    — J’espère, madame ma sœur, que nous ne vous avons pas interrompue dans quelque délicate miniature, observa M. Justice de Mortagne, faisant allusion aux taches de pigment rouge 5 .
    Elle sourit :
    — Non pas, j’encrais en effet. Cependant, une interruption est bienvenue de sorte à préserver la concentration. Un emballement de main est si vite arrivé. Il faut alors gratter le parchemin 6 avec légèreté… tâche encore plus périlleuse lorsqu’il s’agit de velin 7 … des jours de travail perdus. Ma chère mère d’ordre m’indique que vous souhaitez m’entretenir de notre pauvre et regrettée Henriette ?
    Hardouin cadet-Venelle tourna le regard vers le sous-bailli, attendant sa réaction. Mais celui-ci semblait inerte. Aussi attaqua-t-il :
    — De grâce, madame ma sœur, assoyez-vous. Nous cherchons… je ne sais trop quoi. Des bribes 8 de tout et de rien qui pourraient orienter l’enquête que nous allons mener afin de satisfaire le besoin légitime de justice de l’abbesse, ainsi que celui de messire de Tisans. Que pouvez-vous nous en dire, votre sentiment ?
    — Oh, fort bon, excellent. Une femme, une sœur admirable, un exemple pour nous toutes.
    Un discours parfaitement rodé 9 . Hardouin ne s’attendait guère à autre chose. Il n’espérait pas apprendre grand-chose de la bouche de ses interlocutrices. Mais leurs gestes, leurs regards les trahiraient, si quelque chose se dissimulait dans cette admirable abbaye.
    — Nous n’en doutons pas un instant. Pourquoi madame Constance de Gausbert vous a-t-elle citée comme témoin de la personnalité d’Henriette ? La connaissiez-vous d’amitié ?
    En dépit de son sourire, Muriette Letoine cligna des paupières très rapidement.
    — Henriette était notre amie à toutes. Je la connaissais peut-être un peu mieux que d’autres puisque, d’une grande érudition, elle éprouvait une passion, tout à fait pieuse, pour les manuscrits, les écrits de nos grands théologiens. Elle venait souvent au scriptorium, oh rien de très imposant, juste une salle où je recopie des textes de notre bibliothèque, très dégradés par les insectes ou les moisissures, et où une petite novice à la main très sûre m’aide à recoller les feuillets et à restaurer les couvertures.
    — Ah oui, en effet, madame de Gausbert l’a mentionnée… euh… Lu… Si… non… euh…, mon souvenir s’embrouille… mentit effrontément Hardouin, profitant de l’apathie de chagrin de messire de Tisans.
    — Marguerite Fouquet, l’aida Muriette Letoine.
    — Voilà ! Le merci à vous. Qu’une longue route de deux jours et la funeste nouvelle soient les excuses de mon esprit confus. Henriette avait-elle, elle aussi, une jolie main ?
    Après un furtif regard à M. de Tisans, elle temporisa :
    — Elle avait fort belle écriture. Une admirable rotunda 10 et une cursive 11 délicieuse. Toutefois, l’enluminure, qu’il s’agisse de lettrines ornées ou de vignettes, exige une minutie, une

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