Enterre Mon Coeur à Wounded Knee: Une Histoire Américaine, 1860-1890
à Fort Randall, il traversa les plaines avec son peuple et s’installa près du nouveau comptoir sioux. Pour Big Mouth et ses collègues, Ceux-qui-traînent-à-Laramie comme les surnommaient les Indiens, la belle vie était terminée. Expédiés à Fort Randall, ils durent recommencer leurs petites activités dans un environnement totalement inconnu.
Red Cloud, lui, demeura inflexible. Il avait gagné la vallée de la Powder de haute lutte. Fort Laramie étant le comptoir le plus proche, il n’avait nullement l’intention de s’installer près du Missouri ou de faire tout ce trajet simplement pour aller chercher des provisions.
Durant l’automne 1869, la paix régna parmi les Indiens des Plaines. Mais des rumeurs faisaient état de grands changements. On disait qu’un nouveau Grand Père, le président Grant, avait été choisi à Washington. On disait aussi que le nouveau Grand Père avait nommé comme Petit Père des Indiens un Indien, ce qui paraissait à peine croyable. Depuis toujours, le commissaire aux Affaires indiennes était un Blanc qui savait lire et écrire. Le Grand Esprit avait-il enfin appris à lire et à écrire à un homme rouge pour qu’il puisse occuper ces fonctions ?
En janvier 1870, la Lune-où-la-neige-rentre-dans-les-tipis, arriva du pays des Blackfeets une rumeur fort inquiétante. Quelque part au bord de la Marias River, dans le Montana, des soldats avaient encerclé un village et massacré les habitants comme des lapins piégés dans leurs terriers. Les Blackfeets, des Indiens des montagnes Rocheuses, étaient de vieux ennemis des tribus des Plaines, mais à présent tout avait changé, et chaque fois que des soldats tuaient des Indiens, où que ce soit, les autres tribus ressentaient un profond malaise. Soucieuse de garder le massacre secret, l’armée annonça simplement que le chef d’escadron Eugene M. Baker avait, à la tête d’un régiment de cavalerie de Fort Ellis (Montana), mené une expédition punitive contre une bande de Blackfeets voleurs de chevaux. Mais les Indiens des Plaines apprirent la vérité bien avant qu’elle ne parvienne au Bureau des Affaires indiennes à Washington.
Au cours des semaines qui suivirent la rumeur, on vit se produire d’étranges choses dans les Plaines du Nord. Dans plusieurs agences, les Indiens manifestèrent leur colère en organisant des réunions au cours desquelles ils condamnèrent l’action des Tuniques Bleues et qualifièrent le Grand Père d’« imbécile et de chien sans oreilles ni cervelle ». Ils en vinrent à incendier les bâtiments de deux agences, à retenir prisonniers des agents et à chasser des réserves des employés blancs du gouvernement.
À cause du secret entourant le massacre du 23 janvier, le commissaire aux Affaires indiennes ne fut mis au courant que trois mois plus tard, lorsqu’un jeune officier, le lieutenant William B. Pease, qui faisait office d’agent des Blackfeets, l’informa des faits, au risque de compromettre sa carrière. Saisissant le prétexte du vol de quelques mules dans un bateau transportant des chariots, le chef d’escadron Baker avait, au cours de son expédition d’hiver, attaqué avec ses hommes le premier campement se trouvant sur son chemin et où vivaient surtout des vieillards, des femmes et des enfants, dont plusieurs atteints de la variole. Des deux cent dix-neuf Blackfeets occupant le village du chef Heavy Runner, quarante-six seulement survécurent : trente-trois hommes, quatre-vingt-dix femmes et cinquante enfants ayant été abattus au cours de l’attaque.
Dès qu’il reçut le rapport de Pease, le commissaire exigea que les autorités gouvernementales mènent une enquête sur-le-champ.
Bien qu’il portât un nom à consonance bien anglaise, Ely Samuel Parker, le commissaire s’appelait en réalité Donehogawa, Gardien de la Porte Ouest de la Longue-Maison des Iroquois. Enfant, à l’époque où il se nommait Hasanoanda et vivait sur la réserve de Tonawanda, dans l’État de New York, il avait vite compris que celui qui portait un nom indien n’était pas pris au sérieux dans le monde des Blancs. Comme il était ambitieux, il avait donc adopté le nom de Parker et comptait bien être d’abord respecté en tant qu’homme.
Cela faisait maintenant presque un demi-siècle que Parker affrontait les préjugés. Il lui était arrivé de gagner. Agé à peine de dix ans, il alla travailler en tant que garçon d’écurie dans un poste militaire.
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