Excalibur
raisons de geindre. »
Lancelot
cracha, mais ne se donna pas la peine de répondre. Cerdic avait regardé la
confrontation avec amusement. « Tu as une heure pour venir te traîner à
plat ventre devant moi, conclut-il, et si tu ne le fais pas, je viendrai te
tuer. » Il fit pivoter son cheval et l’éperonna pour redescendre la
colline. Lancelot et les autres le suivirent, ne laissant qu’Aelle debout à
côté de sa monture.
Il m’offrit un
demi-sourire, presque une grimace. « On dirait que nous allons nous
battre, mon fils.
— Il
semble que oui.
— Arthur
n’est vraiment pas ici ?
— C’est
pour cela que vous êtes venu, Seigneur Roi ? répliquai-je, sans répondre à
sa question.
— Si nous
tuons Arthur, la guerre est gagnée.
— Vous
devrez me tuer d’abord, père.
— Tu
crois que je ne le ferais pas ? » dit-il sévèrement, puis il me
tendit sa main mutilée. Je la serrai brièvement, puis le regardai partir,
menant son cheval par la bride.
Issa
accueillit mon retour avec un regard interrogateur. « Nous avons gagné la
bataille des mots, dis-je sombrement.
— C’est
un début, Seigneur, répliqua-t-il d’un ton léger.
— Mais c’est
eux qui auront le dernier. » Je me retournai pour regarder les rois
ennemis rejoindre leurs hommes. Les tambours continuaient à battre. Ils avaient
fini par ranger le dernier des Saxons dans la masse serrée des hommes qui allaient
grimper pour nous massacrer, et à moins que Guenièvre fût vraiment une déesse
de la guerre, je ne voyais pas comment nous pourrions les vaincre.
*
La progression
saxonne fut d’abord maladroite, parce que les haies entourant les petits
champs, au pied de la colline, brisèrent l’alignement que les chefs s’étaient
donné tant de peine à constituer. Le soleil descendait à l’ouest car il avait
fallu tout le jour pour préparer cet assaut, mais maintenant, nous entendions
les cornes de bélier beugler leur défi rauque tandis que les lanciers ennemis
franchissaient les clôtures et traversaient les terres cultivées.
Mes hommes se
mirent à chanter. Nous le faisions toujours avant de combattre, et en ce jour
comme avant les plus grandes de nos batailles, nous entonnâmes le Chant de
guerre de Beli Mawr. Comme cet hymne terrible peut émouvoir un homme ! Il
parle de massacre, de sang sur les blés, de corps déchirés jusqu’à l’os, d’ennemis
conduits comme des bestiaux à l’abattoir. Il parle des bottes de Beli Mawr
écrasant les montagnes et se vante des veuves faites par son épée. Chaque vers
se termine par un hurlement de triomphe, et ce défi des chanteurs me tira des
larmes malgré moi.
J’avais mis
pied à terre et pris place au premier rang, près de Bors qui se tenait entre
nos deux bannières. Mes protège-joues étaient rabattus, mon bras gauche serrait
mon bouclier et ma lance pesait dans ma main droite. Des voix fortes montaient
autour de moi, mais je ne chantais pas car mon cœur était lourd de
pressentiments. Je savais ce qui allait arriver. Nous tiendrions bon un moment,
mais les Saxons franchiraient nos piètres barrières d’épineux, leurs lances
nous prendraient à revers, nous serions obligés de combattre corps à corps, et
l’ennemi se raillerait de notre agonie. Le dernier de nous à mourir verrait la
première de nos femmes violée ; cependant, il n’y avait rien à faire pour
l’empêcher, aussi les lanciers chantaient et certains exécutaient la danse de l’épée
en haut des remparts, là où ils étaient dépourvus d’épineux. Nous avions laissé
le centre dégagé, dans le mince espoir que cela pourrait amener l’ennemi à se
précipiter sur nos lances au lieu de tenter de nous prendre à revers.
Les Saxons
franchirent la dernière haie et entamèrent la longue escalade du versant
dénudé. Leurs meilleurs hommes étaient au premier rang et je vis que leurs
boucliers étaient serrés les uns contre les autres, que leurs lances formaient
une épaisse rangée et que leurs haches brillaient. Il n’y avait aucun signe des
hommes de Lancelot ; ils semblaient avoir laissé ce massacre aux seuls
Saxons. Des sorciers les précédaient, les cornes de béliers les pressaient d’avancer,
et au-dessus d’eux étaient suspendus les crânes ensanglantés de leurs rois. Certains
tenaient en laisse des chiens de guerre qu’ils relâcheraient à quelques toises
de notre ligne. Mon père se trouvait au premier rang alors que Cerdic était
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